Archives de catégorie : Edito

Edito de Octobre 2019

Edito de Octobre

Entre jardin et maison, il y a les mots laissés. Leur abondance et leurs résonances.
Je mesure pas à pas le trésor de ces pages d’une mère qui fut attentive au temps qui passe et qui savait que ses mots me rejoindraient un jour.
Ils m’accompagnent à cette saison de ma vie, tendres et sereins.

De « l’été fut trop vert et trop chaud » à « Galaure, en mes repos toujours infiniment présente », il y a une multitude de textes, manuscrits et poèmes, et il y a ce recueil de l’automne 98, fait de dessins à l’encre et de quelques uns de ses textes intercalés : « Tâches d’automne ».
Quelque chose d’une sonate …
Je feuillette et je savoure ce chant de vie mille fois recommencé, en éclats choisis, sertis de fleurs rousses :

« Une porte a été franchie.
Déjà, je suis plus loin.
(…)
Je suis allée échanger cela avec le jardin et sa réponse est bouleversante : un iris de printemps, rose doux, sa hampe a trois énormes fleurs superbement hors de saison, superbement réponse. »

Dans le jardin, sur le pas de la maison qui fut sienne, je n’ai pas trouvé d’iris rose …  mais les crocus sont au rendez-vous de l’arrière saison, émaillant de jaune intense la terre encore sèche de l’été… éclats de vie sortis des premières rosées fraîches de septembre, qui rient et se bousculent au pré comme marque-pages du temps , ils disent le temps qui passe et se répète inlassablement.

Edito de septembre 2019

Edito de septembre 2019

Les semences continuent de m’arriver à leur heure, je relis ce texte ce matin et l’offre en partage sur le site. Il résonne particulièrement au moment où je pense à préparer le Forum des associations.
Nous y tiendrons un stand, le 7 septembre, toute la journée : j’espère vous y rencontrer nombreux.

Le pas convergent

 Dans l’aire j’ai marché sur la paille encore chaude
et j’ai pris le grand van d’osier
y ai posé ma sachée
de mots glanés en javelles* éparses.

Les pieds sur la terre battue, de mes deux bras levés
je secoue le grand van tendu :
le vent en chassera les fétus inutiles.

Rafale après rafale
s’envolent des nuées.

Dans le balan du van
bien peu reste de la sachée, à peine
une poignée de mots..
mais à l’empan exact de ma main aux doigts écartés.

Je réchauffe cette poignée entre l’à-plat de mes deux paumes
et je lui donne essor vers des levains possibles.

Alors si tu le veux, nous irons au moulin ensemble
et nous pétrirons les farines où reste le reflet
des pailles enlevées,
du bleu dur des barbauts,**
de la flambée des coquelicots.

Et nous y trouverons le mystérieux vertige
où lire et écrire s’engendrent dans le foisonnement
des couleurs de rencontre
des parfums partagés
de la cène servie.

J’ai tant vécu de ces appels offerts
m’y suis tant abreuvée que ne puis que chanter
la force du pas convergent qui s’en vient un
et puis s’échappe mille.

Anne Pierjean, Juillet 2001

*brassées de blé qui demeurent à sécher au sol avant d’en faire des gerbes
**les barbauts sont les bleuets, en « parlé » de la Drôme des collines

*  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  * 

ECHOS du Forum des ASSOCIATIONS
du samedi 7 septembre à CREST

      

Edito de août 2019

Édito d’ Aout

En guise d’édito, un texte, poème, d’Anne Pierjean.

Par la maison plurielle s’évadant, aux soirs sereins, de la maison de pierre,

par la piste in-finie vers les quatre horizons filigranant le pas circonscrit quotidien,

par le verbe non-dit engrossant les paroles

et par le corps offert bien au-delà du don,

par tout ce qui prolonge et qui éternise,

DIRE les vertiges franchis sur les braises des routes,

par la pérennité du pas qui sème l’autre, harmonique et gardée,

dire les mourir, les renaître, en dépouilles tombées,

avec son temps franchi doublant le Temps franchi.

Puis, le cœur reconstruit de par ses échancrures

indéforgeablement reforgées de soleil,

face à un couchant rouge,

très doucement s’asseoir,

au seuil usé et chaud à la fraîche du soir.

Anne Pierjean, 1981

 

Ai-je dit que la maison d’Anne Pierjean porte maintenant le nom de La Bastelle ? (en hommage à un manuscrit inédit et à une maison qu’elle aimait).

L’actualité de l’association sera faite, à la rentrée,  de notre participation au Forum des Associations de Crest, le 7 septembre, toute la journée,  et d’une lecture à St Avit le 28 septembre, dont les modalités seront précisées.
Nous y reprogrammerons sans doute la projection du film « Mémoires vives en Drôme des Collines » en fin de journée.

Pour l’heure, c’est le calme repli dans un août que la maison habite. Les cigales sont au rendez-vous et le silence de la chaleur, unique.

Edito de juillet 2019

L’Edito d’Anne

Juin ou Juillet, je ne compte plus

L’été s’empare de nous en en force.
Les volets clos, l’été nous concentre aussi sûrement que le grand froid de l’hiver. Et le bonheur frais n’est dans le pré que le matin tôt, au pied du magnolia qui déploie de larges coupes de parfum…
Un autre bonheur est le soir au retour des grillons, leur chant séquencé me restaure et me régénère… ils avaient disparu durant quelques années et mon émotion de les retrouver me fait prendre mille précautions, surtout ne pas les décourager, qu’ils veuillent bien s’installer comme autrefois, m’accueillir et m’accompagner, comme au temps de mon enfance, dans le noir intense du jardin du soir..

Le jardin est un poème qui déploie ses rimes chaque jour… rimes libres en volutes, en pousses menues ou en efflorescences vivaces, en puissances aussi, comme les longues arabesques de la glycine sur mon balcon ou des bignones qui envahissent dès que j’ai le regard tourné, rapides comme l’éclair !
Que j’aime ce trop-plein de vie et ces fulgurances.

L’association végète, le travail de fond s’étire, le reste est en jachère… sans doute pour mieux trouver comment s’exprimer ensuite, comment libérer les mots que le temps pourrait effacer comme les traces sur le sable, à chaque lampée de vague.

Inscrits sur le papier ils pourraient pourtant s’effacer aussi, les mots d’Anne Pierjean, pilonnés par les modes, les renouvellements incessants, l’inflation des écrits.

J’ai foi en leur force et leur pérennité.
Des tapuscrits s’avancent dans leurs dernières corrections pour être offerts à lire, comme en habits de fête, contemporains dans leur prêt-à-imprimer (comme on dirait prêt-à-porter).

Merci à Alain Nesme qui s’est consacré à cette préparation minutieuse de la prochaine « collection » ! : « Anne des collines » a été restauré et « Une enfance contée » est sur son « métier » … C’est un travail minutieux comme celui d’un lissier, les fils entre-croisés sont parfois à resserrer d’un espace, ou d’une ponctuation « justifiée » …
Dans le jeu de navette de ce travail des yeux, où la lecture exige la connaissance de l’auteur et où se mêle compétences typographiques et informatiques, se glissent des émotions chaque fois renouvelées. Elles s’engouffrent ou s’amplifient, se retrouvent ou apparaissent, surprenantes, subjugantes parfois…

A chaque re-lecture, j’ai eu des chocs, des surprises ou des révélations et les re-lectures croisées nous enrichissent. Il m’arrive de penser que « je n’avais pas encore entendu ça comme ça ». Magie de l’écriture laissée et de l’échange autour.

« Nous ne repasserons pas par là », disait Paul… On ne repasse jamais, en effet, par le même chemin, même s’il est familier, connu, prévisible et que les pas s’y engagent sans penser… des résonances s’éveillent à la même lecture, nouvelles à chaque âge, à chaque moment, unique et sans retour, à chaque séquence de notre existence qui nous fait entrevoir d’autres angles de vue ou nous révèle d’un coup un détail « in-su ».

Au-delà, Merci à tous ceux qui laissent en partage des mots écrits, Merci à cet élan de vie qu’ils tendent à pleine voix, et à ces surprises qui nous attendent à chaque croisement d’une œuvre, qu’elle soit de mots, de notes, de gestes, de couleurs ou de formes.

c’est la période des festivals et ces passeurs là foisonnent  surprenantes, subjugantes parfois …

Edito de Mai 2019

L’Edito d’Anne

Mai, mai, mai….

Un extrait d’Anne des collines, en prélude à la projection qui aura lieu bientôt :  le 18 mai sera tôt là entre bourrasques et giboulées d’un mai fleuri mais un peu austère… j’espère vous y retrouver.

« Ma place fut semée dans une terre et ses saisons, son soleil et ses vents et l’amour qui me fit un toit entre des moissons et des prés et sous des arbres – ma prime enfance fut l’intégration pérenne au rythme des collines où avait vécu ma lignée.
Quels que soient les orages qui surgissent ensuite, cet ensemencement clignote, inextinguible, comme un repère et un sésame. »

Nous continuons la route.

Edito de Avril 2019

L’Edito d’Anne

 

Avril

Pas d’Edito, pas de mots, pas de textes ajoutés au site depuis février… que se passe-t-il ?

Seulement le printemps, la vie, l’humeur vagabonde, légère et nonchalante, les floraisons multiples, « émerveillantes », l’oubli de la discipline… et aussi un « travail » qui s’accomplit en sourdine et s’inscrit en filigrane, quasi invisible : des textes à lire et relire, à mûrir, à feuilleter, découvrir et redécouvrir, des documents à classer, une expérience à penser, celle de l’association, son pas à pas, vers où … ?, le film à terminer…

Dans toutes ces nécessités, je privilégie la rencontre… et la Rencontre, ça prend du temps !

Le film, MEMOIRES VIVES EN DRÔME DES COLLINES, sera projeté à St Avit le 18 mai à 18 H, à la Bibliothèque Anne Pierjean-Robert.

Filmé en mars 2018, entre documentaire et récits de vie, il s’inscrit simplement dans cette ligne de mémoire, tendue comme un fil (ténu, fragile et puissant) du passé jusque vers nous et au-delà, sur lequel on marche peut-être, comme des funambules, sans s’en rendre compte…

Il est fait d’une rencontre où les histoires se sont partagées et fondues. D’anecdotes en menus faits, ça ricochait d’une mémoire à une autre et chacun savait ce dont l’autre parlait…
Et c’était comme si, spontanément, ne restait que la bonne humeur.

Qu’y saisit-on ?
Que sait-on de cette musique du temps qui souffle entre les êtres, les fait parler, par moments, même langage, l’un finissant la phrase de l’autre… ?
Que garde-t-on de ces mouvements d’être solidement engrangés, égrenés, partagés, associés, reconnus… ? de ces fragments de vie qui ne s’éparpillent pas mais se retrouvent… ?

Pour monter le film, on a dû couper le tumulte des voix superposées, croisées, emmêlées, rebondissant joyeusement aux mêmes évocations et souvenirs, on a dû réduire ce qui aurait empêché la compréhension … pourtant, le plus beau, peut-être, le plus touchant, et le plus mystérieux aussi, a été ce brouhaha spontané ! Tous ont immédiatement oublié caméras et micros pour se lancer dans les souvenirs, s’immerger, se retrouver dans l’évocation de ce temps et de cette terre …
car c’est de la terre dont on a parlé, et des animaux et des hommes, dessus, dedans … la terre, fond d’identité et d’appartenance… ses senteurs et ses clameurs, ses respirations, ses mots, ses rites, ses codes, sa pratique, ses savoirs, ses exigences et ses puissances.

Au fil de ces dernières années, de rencontres en rencontres, à l’occasion des lectures faites et de mes passages dans le village de St Avit, saisir ces témoignages d’un temps, à la fois proche et très lointain, d’avant 1950, s’est imposé…

Comme s’impose de le présenter d’abord au pays d’où il vient.

+ + + + + +

l’actualité c’est aussi une participation à la formation des animateurs de centres d’accueil d’enfants, le 15 avril au Lycée Montplaisir à Valence.

Occasion de partager, réfléchir ensemble autour de comment encourager le goût de la lecture chez l’enfant. J’y apporterai les réflexions d’Anne Pierjean sur sa conception de l’écriture pour et avec les enfants. Elle a laissé de nombreux articles ettémoignages à ce sujet.

Elle disait ne pas pouvoir écrire sans la rencontre avec les enfants.

A bientôt!

Anne G

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Edito de Février 2019

Février

Ailleurs, ce sera bientôt le Nouvel An.
Ici, ce seront bientôt les amandiers en fleurs.
Ma vie dans le Sud m’a appris à guetter les premières fleurs dès fin janvier.
Ici, je dois réfreiner mon impatience.
Janvier 2003 a été le dernier mois de la vie d’Anne Pierjean.
Ce janvier 2019 a « effacé » son « petit » frère de cette vie.
Il a été serein et conciliant dans sa sente « terminière ».
Février fut le dernier mois de mon père, en 99.
L’hiver est tueur.
L’Association a pris vie dans cette période, pourtant, en 2017, et propose son AG le 8 février.
L’année 2018 a été riche en lectures publiques, en évènements et rencontres, à un rythme tranquille … jalonnée de beaux moments, petits challenges et témoignages de reconnaissance d’une vie et d’une œuvre.

Le trésor, qui est sans doute passé un peu inaperçu, a été la mise en ligne sur le site de l’association d’un manuscrit d’Anne Pierjean, inédit : « Anne des Collines », récit autobiographique.
J’ai souvent fait lecture de passages de ces souvenirs d’enfance et d’adolescence en Drôme des collines : les mémées et pépés conteurs, le pouvoir d’accueil d’un village, la mort d’un père, la vie d’avant, la vie d’après, ses vibrations, turbulences et résonances, … vous en avez désormais l’intégralité en ligne.

Que sera 2019 ?
Une année d’approfondissement, un hommage à l’écriture de la maturité… après ces deux années de vie, je place en exergue cette phrase trouvée dans les notes personnelles d’Anne Pierjean « l’écriture m’est souffle »*.
Je souhaite des occasions de lectures des textes pour adultes, édités ou inédits, un partage de cette sensibilité d’écriture, vivante, respirante, rythmée, cadencée, inspirante, porteuse, rejoignant émotions et souffle, tendresse, amour, idéal et goût d’être.
Les mots laissés, épars ou aboutis, lancinants, obstinés, ont témoigné, transmis, œuvré… Jalons de survie, pierres du gué, impératifs, ils se sont assemblés, dépouillés, décantés, affutés, ciselés, martelant de poésie et de joie le déroulé d’un chemin de vie confiant, au-delà de tout, en la créativité et au pouvoir des mots.
La vie qu’ils ont dite, observée, transcrite, transposée, avec lucidité et acuité, le balan du pas des générations s’enchaînant, les épreuves traversées et non tues, glissées dans les interlignes, comme les bonheurs qui relèvent les défis… un souffle a traversé, qui continue de nous animer.
* Chaque année de l’association a été placée sous
un thème porteur:
Année 1 « Les mots sont une force et je l’ai su très tôt ».
Année 2 « En semant, semant… ensemencement ».
Année 3 « L’écriture m’est souffle »

 

Edito de janvier 2019

L’Edito d’Anne

Fin d’année...

Dormance de l’hiver… J’ai mis mes pas dans ceux de l’hiver, début décembre, entre les arbres et les arrangements du jardin, sans penser à écrire… tout juste concentrée… retrait des sèves, descente en temps souterrain.

Le solstice à peine passé, j’ai commencé à penser à la lumière de demain, qui viendra peu à peu (qui se souvient du proverbe ? « à la Ste Luce du saut d’une puce, à la St Antoine du repas d’un moine… »… j’y songe chaque année).

Bientôt résonnera « A l’an que ven »… le renouveau se prépare, germe et prend son élan… « et si nous ne sommes pas plus que nous ne soyions pas moins »…

Après octobre, lentement, l’association a pris ses positions de repos… Hivernage… j’ai même oublié l’édito de Décembre… oublié ! reflux des sèves pour une créativité montante, le moment venu, renouvelée en 19 … comme pour l’achèvement d’un cycle… ?

Trois ans de résonance à l’écriture d’Anne Pierjean, trois ans de rappels, lectures, tris, pensées, écrits… long hommage, longue mémoire,  qui peuvent préparer un autre habillage ?…

La robe couleur de temps ou la robe couleur de soleil. ?… Et si Peau d’âne m’était à nouveau conté, se heurterait-elle au « Loup marié » des grand-mères dauphinoises (via les aïeules transalpines ? si les recherches d’Anne Pierjean sur ce conte sont validées).

Aïeux ensemançant les terres, Aïeules en robes de pénitentes (comme les avait dessiné Anne Pierjean pour illustrer « la marche du temps ») … procession lente des mots au chemin du temps…

      A l’an que ven…

Entre deux fêtes, j’ai retrouvé ce conte de Noël, je vous l’offre :

                                                                     Premier Noël

Ce conte-là, elle le disait les yeux presque clos, la Mémée.

Elle parlait de Marion et de Jérôme, mais nous savions que la Marion et le Jérôme de son histoire c’était ces deux qui se tenaient la main dans le cadre entouré de fleurs d’orangers de sa chambre. Elle commençait toujours, très lente et recueillie, comme qui se souvient….

Il faisait bien trop froid pour que la neige tombe.
Les flocons essayaient pourtant, mais ils n’étaient, bernique, que grésil fin qui crépitait sur le sol dur.

Le vent s’en mêlait et piquait la peau à faire pleurer. Les oiseaux criaient à plein ciel et les vols de canards sauvages pointaient leurs flèches vers le sud. Le ciel bas se cassait de blanc au levant aigre.

Pas de redoux encore : on aurait un Noël sans neige.

Jérôme, au fond, s’accommodait du froid.

Il faisait des fagots juste à l’orée de la forêt et le vent se brisait le nez contre les arbres.

Et plus il faisait froid et plus sa cognée tapait dur.
A cette cadence forcée le fagotier montait très vite et Jérôme pensa qu’il pouvait sans tricher s’offrir une petite pause. Et il alla vers un pommier tout pomponné de gui dont il décrocha une boule.

Le gui était superbe. De grosses perles translucides dans l’hélice charnue de feuilles claires.

Et Jérôme en eut joie autant que d’un cadeau.

Il mit un brin à son bonnet et se dit : Bon Noël Jérôme. Il n’est pas de Noël sans vœux et qui les aurait dits pour lui ?

Deux parents, il en avait bien eu sans doute, mais de plus loin qu’il y pensait, il ne voyait, penché sur lui, que nourrices distraites.

Maintenant, il était placé.

Son vieux patron  -un solitaire qui avait enduré pis que pendre de l’existence- ne disait que les mots relatifs à l’ouvrage. Et encore les ronchonnait-il.  Pas méchant, non, mais des mots pour rien dire ?… Et puis la vie est dure. Alors rude à soi et aux autres, on tire, au même pas, le même joug – faisons ceci, cela et puis bonjour, bonsoir.

Ce soir, il y aurait la marmitée de soupe, et parce que c’était réveillon, un gibier à la broche, un pichet sur la table, et la jatte de crème fraîche, et les raisins fripés décrochés des solives avec encore leurs pampres verts.
Peut-être deux oranges ?
On mastiquerait plus longtemps.
Devant la cheminée on resterait un peu tard à tisonner les braises, muets… on finirait, peut-être, par parler des agneaux, des vaches, des cochons.
Et puis bonsoir, bonsoir.
Mais Bon Noël ? Pour certains mots, faut avoir l’habitude.
Et le patron comme Jérôme…
Pourtant, entre les deux, la bonne entente et de l’estime car le même goût à la tâche.

Jérôme revint vers le bois, retrouva sa cognée, sa pélerine sur le sol.
Et sous la pélerine, le petit panier blanc. Il sourit : le panier pour Marion.

Marion allait venir rincer le linge au lavoir de la source. (Elle viendrait, chaque matin c’est ainsi !).
La corbeille mouillée lui creuserait la hanche.
Ses sabots claqueraient, ses cheveux voleraient sous la pointe du fichu rouge. Un bonjour de la main sans arrêter la marche.
Et vite, elle plongerait le linge dans l’eau vive, le frapperait et le tordrait et reprendrait, dans un grand fracas de battoir.
De temps en temps elle mettrait ses doigts gourds au creux chaud de ses bras.
Et puis, elle reprendrait la tâche : l’eau qui gicle, les doigts gourds, l’eau qui givre, la main morte, le creux des bras, le vertige, l’eau qui gifle.

Nom de nom, un froid pareil ! …une vie pareille !… Marion qui jamais ne se réchauffe, tendue dans la bise, cela ne finirait-il jamais ?

Et puis, pour Marion, jamais de Noël non plus. La même enfance que Jérôme mais pas les mêmes patrons. Une maîtresse hautaine et dure, la belle dame des Landiers – D’abord, elle aussi, étant jeune, avait trimé au lavoir. Elle n’en était pas morte, à d’autres maintenant.
Et ce soir, il y aurait chez eux plein de beau monde.
Et Marion servirait, fourbirait, nettoierait.
Elle irait avec ses mains lasses, ses yeux trop grands, et ses hanches trop minces, ses longs cheveux nattés dans le dos jusqu’au nœud blanc du tablier…
Alors, de Bon Noël Marion…

Mais lui, Jérôme, y pourvoierait.

Depuis des jours et des jours qu’il pensait à Marion, le froid lui procurait un mal bizarre qui le piquait et le glaçait, même devant le feu, même sous l’édredon qu’il tirait jusqu’au nez dans son grand lit de chêne. Un froid qui le suivait partout et pouvait brûler comme braise.
Alors, Bon Noël Marion, il fallait que ce soit lui qui le lui dise. Et qu’il soit le premier.

Il avait bien souvent tenté l’approche, allumé un grand feu :
–  Tu viens te chauffer un moment ?
Marion jetait un coup d’œil sur le feu et regardait furtivement la ferme des Landiers . Cinquante pas l’en séparaient. Une portée de voix.
– Merci bien, faut que je me hâte.
Elle devait laver le linge. Si la maîtresse l’avait vue, elle qui défendait de parler aux garçons et Jérôme avait dix-neuf ans. Et elle lavait, frottait, tordait, se retournait parfois vers le petit feu rouge.

Jérôme cognait à grands coups de hache sans vouloir se chauffer lui-même. Alors, au retour, en passant, elle lançait :
– Merci Jérôme. Au revoir et merci encore.

Merci encore et de quoi ? Cent fois nom d’une pipe, il faudrait qu’il le lui dise son « Bon Noël, Marion ». Quelle sache enfin toutes ces choses douces qui lui fourmillaient dans le cœur. Et comme on était le 24 décembre, il ne pouvait plus différer d’un jour.
Quand il entendrait les sabots sur le chemin, il irait en porter deux bien chauds devant le lavoir.
Et puis, il reviendrait vite.

En arrivant, les doigts gourds, elle s’y réchaufferait. Quand les galets seraient froids, il en porterait deux autres…. Il y joindrait son cadeau… et  tous les mots doux qu’il avait au cœur.
Et il entendit, derrière les arbres, la sabotée attendue. Vite, vite, les galets chauds…
Marion apparût au détour d’un houx bien perlé de rouge.
Ses sabots claquaient, fouettant le froid d’une cadence rapide.
Ses cheveux flottaient, sortis du fichu de laine.
Elle avait noué son châle dans le creux du dos.
Son nez était rouge, sa hanche creusée par le poids du linge.
Pourtant, comme elle paraissait légère. Une fée sur le chemin, frêle, si fragile et blonde.
Jérôme arrondit ses bras : elle y tiendrait toute, elle et son gros châle et son grand jupon, son nez relevé et ses longs cheveux—elle et ses seize ans si frêles …
Elle était passée….
Jérôme laissa tomber ses bras et prit son panier.

Pendant tout cet hiver froid  -où son cœur battait jusque dans ses tempes— il avait tressé  un panier d’osier, blanc comme une amande fraîche.

Et puis, il avait compté ses sous et couru au bourg pour y acquérir une jupe de futaine, des bottes fourrées et un sac de papillotes.

Et parce que c’était Noël, il avait taillé lui-même deux grandes étoiles en papier d’argent et il les avait fixées au flanc du panier.

Entre les étoiles il avait écrit en lettres dorées « Bon Noël Marion », car la chose écrite demeure longtemps.

Marion arriva enfin au lavoir.
Elle y posa sa corbeille.
Deux pierres ? Que faisaient-elles là ? Elle les repoussa du plat de la main, mais …
Mais elles étaient chaudes ? Elle y appuya les doigts… Chaudes ! … Elle ne se trompait pas .
Elle en prit une contre elle et la serra sous son châle. Puis elle se tourna vers l’orée du bois, là où la cognée « écoutait » dans le silence depuis quatre ou cinq minutes.
– Merci bien, Jérôme.
Et elle quitta ses sabots et posa sur les galets ses pieds en chaussons de laine.

Une chaleur incroyable montait et l’irradiait. Et son cœur tapait si fort qu’elle l’entendait de partout.
Jérôme l’apercevait dans un écran de buée…
Puis des larmes dures piquèrent ses yeux.
Alors, il bomba le torse, toisa l’hiver et la vie, le cœur plein d’amour et plein de défi.
A trente pas du lavoir, il apercevait la belle ferme des Landiers.
La dame et le maître, et tous les enfants, s’en allaient en file indienne, santons en cape de drap et paniers aux bras pour les achats de Noël.
La porte d’entrée était bien fermée.
Noël s’était fait le complice de Jérôme : Marion était seule une heure.

Marion bousculait son linge, le frappait et le tordait avec des vigueurs nouvelles.
La bise semblait ramper à ses pieds, écrasée par les puissances qui rayonnaient des galets… La hache semblait attendre et ne cognait plus.
Marion n’osait pas écouter son bonheur grave, ni même se retourner -la joie que l’on rencontre soudain au détour d’une minute, peut-on y croire si vite ?
Alors elle tapait et tordait le linge.
Elle pleurait aussi avec l’envie de chanter.

Jérôme tenait son panier d’osier et il marchait vers Marion.
Ses deux étoiles brillaient comme de vraies étoiles.
Une épingle de soleil passa entre deux nuages et encensa le lavoir d’une gloire de lumière, comme en ont les crèches sur les cartes de Noël.
Jérôme, à pas de loup, se glissa derrière Marion
Elle n’entendait rien dans le fracas du battoir.
Allumés par le soleil, ses cheveux étaient de cuivre.
Parfois, elle s’arrêtait de bouger et regardait son visage danser dans l’eau claire.
Jérôme ne parla pas. Il éleva le panier pour que son reflet se pose tout près du reflet de son fichu rouge.

Marion ouvrit des yeux ronds… et elle se pencha sur l’onde.
Etait-elle malade ou avait-elle des visions ?
Des étoiles se baignaient en plein jour dans son lavoir ? Et elles trainaient en guirlande « Bon Noël Marion » ? (car, même à l’envers, ça pouvait se lire !).
Elle toucha l’eau de ses doigts. Et les étoiles plongèrent dans de grands remous qui s’élargissaient au bord de la pierre en mille lueurs dansantes.
Elle frotta ses yeux vigoureusement…
Puis elle frotta ses oreilles car elle entendait maintenant des voix…Mais elle comprit vite et ses chaussons pivotèrent sur les galets encore chauds. Elle ne rêvait pas. Jérôme était là, c’était vrai de vrai. Elle dit à son tour : Bon Noël Jérôme.
Puis elle sécha ses deux mains à son devantier, se hissa sur ses chaussons, et elle embrassa Jérôme sur une joue et sur l’autre.
Ensuite, elle prit le panier, le serra fort contre elle. C’était son premier Noël et elle l’avoua, des larmes givrant ses cils.

– Pour moi aussi, dit Jérôme, voilà mon premier Noël.

Elle n’avait dans sa poche qu’une pomme rouge et son mouchoir. Elle les lui tendit.
Le mouchoir était frippé comme une pivoine d’avril. La pomme portait la morsure de ses dents dans le creux d’une bouchée.
Et Jérôme prit la pomme et le mouchoir blanc.

– Maintenant faut que je rince.
– moi que je coupe mon bois.
Il fit deux pas pour partir et se retourna. Et tout ce qu’il voulait dire, il le lui cria :
– Bientôt, après mon service, tu n’auras plus jamais froid. Plus jamais, je te le jure. Est-ce que tu me crois ?
– Oui, Jérôme, je te crois.

Ils avaient repris leur tâche. Le linge volait. La cognait dansait. Le feu brasaillait. Le vent soufflait sur les braises, ressuscitait les étoiles : bleues, rouges et vertes, elles n’en finissaient pas.
Et le petit feu réchauffa le bois, le lavoir et les labours et toute la terre, et les choses du moment et celles d’avant et celles d’après.
Alors, l’air doucit.
La neige tomba…
Une vraie neige de Noël, calme et presque tiède…
Et sa blancheur incroyable nivela d’un tapis blanc les crevasses du chemin.

Chaque fois, à cet instant, la mémée fermait les yeux et déclarait l’histoire finie.
On lui laissait trois minutes de recueillement puis on s’indignait : on voulait la fin. Une fin précise. Avec des baisers sous une boule de gui, un voile blanc, une noce.
– Ils se sont marié ? dis-nous, ils se sont mariés ?
– presque tout de suite, grâce au patron de Jérôme. C’était un gars pas bavard mais il était bon. Et il n’avait pas de femme, pas d’enfant non plus (ils étaient morts de la peste. Ces choses là arrivent !).

Un soir, le patron avait remarqué avec un sourire :
– Je crois que tu regardes du côté de la Marion. Et qu’est-ce qui t’empêche d’aller aux Landiers ?
Ce qui empêchait Jérôme, c’était pas l’envie.
C’était les économies.
Et il en fallait pour se mettre en ménage. Et Marion voulait aussi se faire un trousseau.
Le patron bougon avait pris sa pélerine et tout en marchant, il se parlait à lui-même : la vie, y’avait pas à dire, faisait des choses stupides ! tout le trousseau de sa femme se ternissait de moisi dans la grande armoire… et cette maison muette ? Et personne, après, pour la faire vivre et la continuer ? Alors, il était entré dans la ferme des Landiers.
– Bien le bonjour mon Voisin.
– Et quel bon vent vous amène ?

Et puis ils avaient parlé, longtemps, sans témoin.
Et personne ne sut ce qu’ils s’étaient dit.
Personne ?
Un peu Marion tout de même, qui, grimpée sur une chaise s’accrochait à la lucarne (non ! elle n’était pas curieuse mais elle avait entendu le nom de Jérôme…).

Et puis les deux hommes s’étaient attablés et avaient trinqué à la bonne entente.
Et Marion avait pleuré de joie dans son tablier en sortant les verres et le grand pichet d’étain.

Nous aurions voulu savoir davantage, mais le reste, sacrebleu, la mémée se le gardait.
En compensation, elle nous remettait la petite boîte qu’elle avait toujours en poche.
C’était la boîte à réglisse. On la vidait chaque jour et elle était toujours pleine. Magique et intarissable, elle allait avec les contes. La mémée la secouait d’un air attentif pour entendre le grelot des petites crottes noires, puis concluait, rassurée :
– Ah ! ces nains de la montagne !
– Ah ces nains de la mémée qui remplissaient à la fois sa tête d’histoires et la boîte de bonbons – et en qui il fallait croire, car sinon, bernique, ils ne reviendraient jamais !
Mais y’avait pas de risque ! Les lèvres noires de réglisse nous nous envolions en criant en chœur :
– Merci bien les nains ! A demain, Mémée.

Edito de Novembre 2018

Edito de Novembre 2018

Paul « a fait » la guerre de 14, il en est revenu. Il a épousé, Louise son amour de jeunesse. L’itinéraire de son long périple du côté des Dardanelles était encore épinglé à l’intérieur de la porte haute du buffet, peint en blanc, qui sentait bon le gros pain qu’on y gardait dans des torchons de toile rude.

Il le regardait sans doute, parfois, n’en parlait jamais… c’était toujours sous nos yeux quand on prenait une tasse dans le buffet, familier et mystérieux pour moi… un trait autour d’un dessin qui figurait la mer… parfois des zones en pointillés, des noms inconnus…

Jusqu’à sa mort, il a salué le poilu du monument, tous les matins, en sortant de son jardin… un voisin me l’a encore dit, il y a peu… soulevait-il sa casquette ? parlait-il un peu avec lui ? le regardait-il seulement d’un œil fraternel ? fleurissait-il parfois la statue… Sans doute un peu de tout cela, des années durant, fidèlement, respectueusement.

Pépé Paul est mort un 11 novembre… clin d’œil au temps.
Echo de son silence sur cette drôle de guerre qu’il n’a jamais évoquée avec moi … mais je savais qu’elle était là, en lui.

Ce temps de commémoration résonne en éclats de cloches, éclats d’obus… tocsin et glas..

Anne,  Novembre 2018

 

« Et la guerre, juste à l’heure où l’on entreprend de vivre ?
Ce serait trop bête.
Ce serait si bête qu’il ne le concevait pas.

Le trop-bête était le fouet, le mors, l’étrivière qui corrigeaient le cheval quand il s’emballait. Le monde, quand même, n’était pas plus sot qu’un cheval mis au labour ! Peut-être qu’il s’emballait, mais il comprendrait, redresserait à temps, il n’irait pas jusqu’au trop-bête, il en aurait honte.

Pourtant, des guerres, il y en avait eu…
Les siècles en étaient remplis…
70 n’était pas loin avec sa rancune vive, mal lavée, mal affranchie.
Et les guerres se harponnent au-dessus du temps. On les croit chassées, mais, mine de rien, un invisible maillon reste là à se construire, à se ressouder, et puis un jour il est là, on le voit et il menace.

(…)

..la guerre restait là comme un chasseur à l’affût qui a tout son temps, assuré qu’il est de bien canarder sa grive dans l’innocence d’une heure. Et le fin collier des jours qu’était la vie de l’oiseau se romprait soudain …
Ces perles perdues dans le sang figé…
Gilles en avait froid aux veines. »

………

« Le curé sonna les cloches pour Gilles et Génie. Il les sonna sans mesure, il y en avait pour la mort, il y en avait pour la vie, toute cette vie avant, et cette misère bête qui s’y était ajoutée par la faute des vivants, comme si l’autre misère qui tombe imparable ne suffisait pas à gâcher le monde. »

……..

« – Pourquoi tu fais pas la robe aux bleuets ?
– C’est le deuil, Jacquou.…

Les petits avaient 7 ans maintenant, ne comprenaient toujours pas. La mort, passe encore, c’était une absence. Mais le noir ? Pourquoi le noir? C’était déjà pas si gai de perdre les gens !… et la guerre était finie depuis trois années et leur mère était en noir comme si la guerre n’était pas finie pour elle »

(…)
Extraits de « Loïse en sabots »

 

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PS En Octobre,  il y a eu une lecture à la Bibliothèque d’Allex :

et une belle rencontre, les échanges ont été riches en émotions.

Extraits de Textes mêlés:  pour enfants et adultes , « Steve et le chien Sorcier », « l’instant Exact » et « La sente terminière »,  passages inédits de « Anne des Collines ».