Edito de décembre
Je vois de loin arriver décembre, les oiseaux chantent dans les manguiers du jardin et un enfant joue dans la maison d’à côté. Des mots que j’entends et ne comprends pas, des sons inhabituels, le soleil s’apprête à passer derrière les montagnes, il est 16H18… dans une heure il fera nuit noire, en cela je me rapproche des sensations des décembre que je connais … en cela seulement, car il fait chaud et j’ai jardiné ce matin comme nous le faisons au début de l’été, du temps qu’il fait encore frais.
L’énergie de tenter de comprendre et de parler m’enveloppe dans une bulle, j’en arrive à chercher les mots d’anglais les plus courants quand je tente de m’exprimer par défaut ! … ce que je n’ai pas envie de m’accorder, d’ailleurs ! je préfère feuilleter intérieurement mes capacités en chinois et je conclus souvent que « je ne sais pas dire » ou je bredouille des mots approximatifs, on m’aide, ou pas, on me parle, je comprends encore moins, on sort le portable pour utiliser le traducteur… et je n’aime pas cet anglais qui tombe et, solutionnant informatiquement la phrase, m’empêche d’apprendre !
Mon dictionnaire et mon traducteur internet m’accompagnent quand même, au-cas-où il y aurait une nécessité urgente de se faire comprendre ! mais j’essaie de trouver les formules simples avec mon pauvre vocabulaire … quand j’y arrive c’est souvent en pure perte car ma prononciation n‘est pas à la hauteur des phrases qui sont peut-être, parfois, relativement correctes grammaticalement ! alors, toujours … sourires, saluts, renoncements, gestes et indulgence : on s’assure de savoir de quel pays je viens, on hoche la tête avec sympathie à l’évocation de la France.
Il faut dire que dans cette province du sud de Taïwan, on parle davantage taïwanais que mandarin.
Le lendemain, on me reconnaît et on me salue.
Ce village, dont le nom signifie « porte de l’eau » est à dimension humaine, traversé par une rivière qui galope et actionne une roue à eau, rencontre des vannes et file droit vers un lit caillouteux, infiniment large pour la recevoir… elle s’y perd en zig-zag mais sa vallée passe sous de longs ponts suspendus que j’irai traverser pour le plaisir du mouvement. En perspective, on en voit plusieurs et, au-delà des ponts, on me dit qu’il y a des villages traditionnels qu’on visite. Les aborigènes, premiers habitants de l’île, habitent dans de nouveaux villages, construits pour eux, sur les hauteurs de Shuimen, maisons au carré, jolis jardins, rues désertes croisées perpendiculairement, avec application…
Ils tiennent souvent les magasins à Shuimen et sans doute beaucoup travaillent dans les villes alentours.
Mes promenades m’ont conduite entre des maisons bordées de plantes, plus souvent plantées dans des pots ou des bacs alignésqu’en pleine terre. Chaque maison, ou presque, a sa vasque remplie, ou son bidon coupé, où s’épanouissent des lotus. Aux grilles sont accrochées des orchidées, aux arbres des plantes parasites ou épiphytes, je circule entre les manguiers et autres champs d’arbres fruitiers inconnus, des plantes vertes sur-dimensionnées, de celles qu’on installe dans nos salons (en tout petit !) ou dans nos jardins, l’été, pour les rentrer soigneusement l’hiver.
Les routes sont essentiellement fréquentées par des scooteurs, quelques voitures et des bus. Peu de place pour les piétons, les marcheurs (je devrais dire la marcheuse que je suis car il y en a très peu) se glissent dans une bande très étroite, entre une ligne blanche et l’herbe, la largeur des hanches, pas plus !
D’ailleurs, on m’a vite repérée et on m’a proposé un vélo, je roule maintenant plus souvent que je ne marche dans la voie cyclable !
Dans la maison, l’influence japonaise se mélange aux habitudes de campagne et de pays tropicaux : dans le bac à douche, un petit tabouret de bois, bas, des bassines et une casserole suspendue invitent à s’asseoir et à faire ses ablutions avec le même soin que nos anciens, sans laisser le pommeau de douche couler à flot. Le confort est là, l’eau est chaude, recueillie dans de grands réservoirs qui surplombent les maisons et j’ai eu plaisir à découvrir ces gestes vus dans des films…
Les chambres ont un plancher légèrement sur-élevé, on glisse ses chaussures d’intérieur dessous, les chaussures d’extérieur ont déjà été déposées à l’entrée, et des matelas très fins sont posés à même le sol.
Dans certaines boutiques, en ville, on pose aussi ses chaussures, avant d’entrer, sur des étagères prévues pour ça, et on enfile des claquettes.
La nourriture est partout, toute prête, odorante, offerte par des étals variés, dans des gargottes au bord des rues, ou de minuscules restaurants populaires… On y mange à la chinoise, à la japonnaise, à la taïwanaïse je suppose, des fritures, des bentos, des bao (pains cuits à la vapeur et fourrés à la viande), des raviolis, du riz sauté, et tous les morceaux de viande les plus étonnants, pattes de poulet, pieds et couenne de cochon, lard frit, croupions, foie, cœurs, crêtes, tripes…
De bonne heure, la vie s’éveille ostensiblement vers 6 H du matin, ces étals sont très fréquentés, on fait la queue pour s’acheter un petit déj taïwanais typique, omelettes aux herbes, galettes feuilletées, cuites sur de grandes plaques, bao, sandwiches, hamburgers taïwanais, nouilles, galettes… l’abondance, seulement du salé, et un grand verre de café au lait de soja, généralement froid. J’ai vite compris que ce qu’on appelle café n’est pas du café mais en a la couleur !
La cuisine de la maison que j’occupe est équipée de l’essentiel : une bouilloire pour purifier l’eau, un frigo et un cuiseur de riz, peu de vaisselle et peu d’ustensiles, apparemment on n’y cuisine guère. La coutume et la facilité sont d’acheter un plat dans la rue, voire d’y manger, rapidement.
Les voisins, pourtant, m’ont invitée, le premier soir, à boire un verre avec des plats maison et m’ont apporté, hier, un grand bol d’une soupe fameuse, … ils m’ont aussi déposé des gâteaux l’après-midi (chauds, achetés en ville), des fruits, en guise d’accueil.
Et les offrandes se renouvellent !
On trouve toutefois quelques marchands de légumes, de viande crue, de fruits. Je vais m’acheter un panier local et faire mes courses, cuisiner aussi !
La débauche d’emballages surprend et choque les européens que nous sommes, sacs plastiques à profusion, pour le moindre achat, multiplication effrénée des emballages individuels… que l’on retrouve au bord des rues et partout, malheureusement, comme les mégots de cigarette et les canettes de boissons.
Le temps que j’écrive, la nuit s’installe. 17H22.
Le ciel est orangé doux. Les moustiquaires confortables, à toutes les portes et fenêtres, protègent la soirée si on prends soin de ne pas laisser la prote ouverte trop longtemps! quelques géko veillent…
Une nuit douce avance, tiédeur agréable, les coqs s’entrainent déjà, les chiens sont calmes, ils parleront plus tard… il y en a beaucoup alentours, attachés, quelques-uns circulent tranquillement ou dorment étalés à l’ombre. Ceux du voisinage ne me disent déjà plus rien quand je passe, ils ont compris, je suis du lieu.
J’entends le balai qu’on passe dans la cour d’à côté, quelques bribes de phrases échangées.
Les familles mangent tôt.
Cette première fois où je m’échappe en novembre a une saveur subtile d’été prolongé et la légère tension sous-jacente d’un petit challenge. Je me laisse glisser dans un temps inconnu… les mots et expressions me viennent peu à peu. la Joie domine.
Une balade en terre inconnue a commencé un matin tôt, avant la chaleur, vers le « taÏwan indigenous People Culture Park » (cette fois c’était aussi écrit en anglais) : un immense pont suspendu à traverser, puis l’entrée du parc, encore désert. Le pont suspendu très haut au-dessus de la rivière, ne balance pas, fermement arrimé, petite déception après une légère appréhension! Un ancien pont est au-dessous, bien en-dessous, condamné.
Les deux autres ponts suspendus que j’ai traversés ensuite, plus anciens, moins grandioses, ne balançaient pas non plus mais, étroits et surplombant une forêt luxuriante où on devine à peine une rivière, ils étaient plein de charme. De ceux-là, on était au niveau du sommet des arbres, parfois fleuris de grandes fleurs roses … la forêt embaumait par endroits, j’y ai trouvé ensuite les maisons traditionnelles recomposées ou des ruines, et les cigales (sans doute quelque insecte de ce genre ?) ne se taisaient même pas à mon passage.
Pour la première fois, je vous envoie un édito lointain, décalé, désynchronisé des préparatifs de fête et des frimas, en marche vers ces nouvelles et ultimes « premières fois » à vivre, peut-être vers un nouveau souffle, en dégustant les jours, heure par heure, et un certain déphasage…
J’ai mis deux jours à réaliser que ces interjections que j’entendais de temps en temps devant ma porte ou dans le jardin, comme des cris un peu furieux, c’était mon prénom… « Anna »… !
A chacune de mes sorties, les têtes s’inclinent et je reçois des sourires, comme dans toutes les campagnes et les montagnes du monde, peut-être … ?
Pas de citation d’Anne Pierjean, cette fois ses pas n’auront pas précédé les miens, terra incognita … ce sont, à l’inverse, les pas de mes enfants et de ma petite fille qui m’auront précédée et invitée…
Anne
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Nouvelles du livre hommage
Le livre « si je regarde par-dessus l’épaule de ma vie… » a été envoyé à ceux qui le souhaitaient, une pile d’exemplaires attend ceux qui viendront le chercher, et, bien sûr, si vous n’aviez pas prévu avant, il suffit de vous manifester pour en demander un !
Les premiers exemplaires ont été expédiés samedi à ceux qui avaient souscrit et je mets à disposition les exemplaires retenus, au siège de l’association.
Bien sûr, il y en aura aussi pour ceux qui n’ont pas réservé !
Contactez-moi pour les retirer ou venir en acheter!
tel : 06 08 15 64 05 ou mail : annegrangeon@gmail.com
Précision pour les envois internationaux, des amis lecteurs belges me l’ont demandé qui, par ailleurs, n’ont plus de chèques depuis longtemps ! (pardon pour ma méconnaissance !) :
la pré-commande (souscription) peut se faire par virement international U.E. (à demander à leur banque en fournissant le Rib de l’association) et les frais d’envoi sont de 7,50 € jusqu’à un envoi de 500 gr (c’est-à-dire jusqu’au poids de 3 livres!)
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ANNE PIERJEAN, LES MOTS ET LE JARDIN
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Je voudrais qu’à me lire on n’entende qu’une voix parmi d’autres essayant de murmurer le plus grand nombre… si bien que chacun pût faire sien les mots qu’un seul d’entre eux aurait ruminé, parce qu’il était fait comme cela peut-être ? ou que les donnes de sa vie eurent besoin de dire pour survivre ?
alors, les mots épars l’enveloppèrent en nuées et il tenta à cru, à vif, et dans l’urgence, d’en discipliner l’essaim fou ? en tous cas de l’apprivoiser jusqu’à cet instant salvateur ou suzeraineté et allégeance se confondent — et ce ne saurait être ni question de talent ni question de génie mais d’écorces tombées jusqu’à l’aubier ouvert, jusqu’à l’impalpable sève captée que chacun transcendera à sa mesure.
J’aurai toute ma vie dit cela inlassablement en tous mots et en toutes phrases : la source des sources est à tous et il faut parfois que quelqu’un puise pour réveiller des soifs qui restaient en besoin tout au fond de l’obscur de soi — et le seau n’est rien dans l’affaire qu’une poignée de main humaine.
Anne Pierjean, extrait de lettre à Raoul Dubois, 2001
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