page en évolution qui recense dans les écrits d’Anne Pierjean ses réflexions à propos du roman jeunesse .
« Je n’ai pas de conception du roman pour enfant, j’en ai une sorte de sentiment »
« je pense sincèrement qu’on ne peut pas faire de livres pour les enfants sans leur participation »
« l’essentiel se situe bien au-delà de la création du livre et des motifs, personnels ou non, qui l’ont engendré. C’est pour moi(…) la rencontre avec un jeune. La rencontre responsable. » Lettre en 1976. au sujet de Paul et Louise.
Dans la revue Résonance, Décembre 1982
« …Je crois que les mots ont encore des pouvoirs. Le plus possible délivrés de leur auteur et d’eux-mêmes, invisiblement accueillis aux résonances receveuses des orées de chacun, ils ont pouvoir de naître… Alors, je crois en la simplicité qui aborde partout, à la chaleur ineffable qui filtre, en la ténuité des images, pour dépasser le seuil invisible des rencontres. Et je crois en l’enfance… Et je dis aux enfants que j’ai bien de la chance, que je jette des grains qu’on ne distribue pas et dont je peux tout espérer parce qu’ils seront ce que sera le sol, que j’attends tout de mes lecteurs, avec foi et amour, dans des au-delà de contact qui prolongent les mots… »
Courrier à une jeune lectrice, Véronique :
« Tu as raison, cela vient apparemment tout seul en ce qui concerne mes personnages. A peine créés, ils se confient à moi, de façon très déterminée, je dois le dire, car ils ont une vie très active et réclament mes mots de façon autoritaire. J’écris, j’écris, je les suis de mon mieux. Ils vivent sans me consulter à ce moment de l’écriture et je ne me sens ici que pour les mots… Pourtant, nous avons bien dû obscurément nous accorder au préalable ? Mais lorsque l’histoire galope comme un film devant ma plume, je suis entrée dans une autre joie: celle de mettre en mots leur aventure, en mots selon mes cadences, ma musique personnelle, mes images intimes peut-etre car, leur vie, je la vois selon moi bien sûr, je l’entends selon moi, bien sûr aussi, quelle que soit l’indépendance de leur histoire. »
« Compte-rendu d’une de mes visites, dans un journal scolaire » :
« Anne nous a dit : un auteur produit ses livres comme un pommier produit des pommes. Certaines années il n’y a pas de pommes parce qu’il y a eu du gel et du vent, du mauvais temps dans la vie du pommier. »
de l’institutrice à l’auteur pour enfants
réponse à Marie à qui APJ écrit par le CDI (1991 ou 93 ):
Bonjour Marie, je pense qu’il est urgent que je te parle de mes techniques d’écriture (si j’en ai!) puisque tu étudies cela en classe.
C’est pour moi un peu difficile de répondre à cette question car je ne combine rien, je ne prévois pas, je cueille ce qui vient.
En apparence je suis le pommier. Il fait des pommes -va-t-en savoir comment!- on cueille les pommes, s’il y en a, on les aime ou on ne les aime pas, mais les pommes sont là parce que le pommier est un pommier et qu’il ne peut pas moins faire que donner des pommes!
Des choses l’aident : le terreau, le soleil, la pluie, mais le processus qui va de la fleur au fruit se constate et ne s’explique pas.
Donc je fais comme le pommier apparemment !
Mais si je réfléchis, je peux dire mes étapes qui me mènent d’une pensée « comme ça » au livre édité.
Comment vient l’idée ? Mystère ! j’en ai beaucoup, beaucoup, que je n’écrirai jamais parce que je n’ai pas le temps ou parce que le sujet cesse de m’intéresser.
Comment le personnage (qui insiste dans ma tête) arrive à se faire donner une histoire de ma part ? C’est un peu mystérieux aussi.
Mais il insiste, il devient pressant et comme j’aime écrire, je le mets en route dans un premier chapitre où il « naît »… ça ne veut pas dire que je le prends à l’enfance !
Après, souvent, je marque un temps d’arrêt. Et puis des choses arrivent pour mon personnage.L’action est en route, elle va jusqu’au bout en général (si j’en ai le temps, la santé, si je peux m’y consacrer). Inventer une histoire et la garder en tête, c’est facile mais l’écrire, c’est long et demande de la concentration.
Mais écrire donne deux joies :
La première de créer une histoire
la seconde est d’arriver à la donner aux autres par des mots le plus valables possible.
(quant à la troisième ! elles est ineffable : c’est celle d’être unie à des lecteurs PAR ses personnages. D’en recevoir des nouvelles. D’échanger avec les lecteurs, la chaleur et l’amitié).
Voilà Marie, je t’ai répondu très hâtivement mais je suis toute prête à répondre à des questions plus précises.
Si cela t’intéresse (ou intéresse ta classe), je peux te dire que sur la trentaine de livres écrits, aucun n’est venu de la même façon. Chacun a eu SA technique pour naître. Moi, j’ai favorisé, j’ai cueilli et j’ai apprivoisé les mots pour te les donner de mon mieux, en histoires que tu peux aimer…
C’est comme ça que j’aime écrire. Je ne me force jamais à finir quelque chose. Je n’accepte jamais d’écrire une suite à un livre qui « marche » : j’aime cueillir avec joie ce qui vient.
Ecrire, pour moi, est une joie,ce n’est pas un travail, même si je suis épuisée par cette joie à la fin d’un livre !
à une autre jeune lectrice, en Juin 1993 :
« mes personnages sont le lien entre toi et moi, mes lecteurs et moi.
Et que je suis heureuse de n’avoir jamais « renâclé » devant la correspondance, de l’avoir privilégiée (de l’avoir fait passer avant les livres) parce qu’elle AJUSTE la rencontre auteur-lecteur. Elle la personnalise. Elle en fait un lien affectif. Elle me donne beaucoup de douceur à évoquer tout le temps consacré à elle. Et elle me maintient dans cette douceur puisque cette correspondance continue toujours.
les personnages, le lien entre auteur et lecteurs
APJ:
Voilà que (cela m'est arrivé plusieurs fois) C. m'écrit : elle avait lu Le temps de Julie à 15 ans. Puis elles 'est mariée et a éprouvé le besoin de le relire.Et elle m'affirme qu'elle a compris Julie à un autre niveau, que, du coup, elle ressent la guerre dans son coeur et son corps, véritablement. Elle comprend mieux Le temps de Julie et il faut qu'elle me le dise.C. est devenue une grande sans oublier Julie, sans m'oublier (puisqu'elle m'écrit)...J'en ai une immense et ineffable joie..
Je cite C. mais il y en a tant d'autres...
MC. m'a "toute relue" dit-elle en attendant ses jumeaux, "de peur de n'avoir plus le temps après" ... Et mes personnages sont devenus les parrains et marraines de quelques petits : je reçois d'adorables photos d'une petite Loïse (dont la maman aimait Loïse en sabots) d'une Sandrine (Cf Steve et le chien Sorcier). Je ne les connais pas : c'est une affaire entre mes personnages et mes lecteurs, mais ils me l'écrivent et j'en suis touchée.
Un autre de mes personnages a toujours suscité beaucoup de messages tendres dans mon courrier, c'est Marika. Je pense que beaucoup d'enfants se reconnaissent dans ma sauvageonne. D'autres adorent Chris. Une L. de 12 ans m'écrit "je suis amoureuse de Chris".
Grâce à vous mes personnages me tiennent doucement compagnie et me parlent de vos lettres et de vous.