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Edito de Novembre 2020

Octobre et novembre au jardin et aux mots

Ce jardin, c’est sûr, est une invite permanente à la méditation ! à moins que ce ne soit une invite à la méditation permanente !…

 une explication à l’absence d’édito récent !

Le jardin et les mots m’ont retenue.
Je suis, infatigablement, osbtinément, dans les pensées et les mots d’Anne Pierjean, ma mère, qui nous a fait ce cadeau inestimable d’écrits … ceux , au-delà des publiés, qu’elle a choisi de ne pas brûler et de nous transmettre.

Je suis dans le jardin, les fleurs et « le vert à chaque fenêtre » de cet automne radieux comme dans les mots et pensées qu’elle n’a pas eu le temps ou l’énergie de classer mais nous a laissés dans un « bloc-notes éparpillé ».

Occupée, concernée, étonnée, émue, bouleversée, rejointe… Cet automne me donne encore le La pour poursuivre une composition d’Elle, une gerbe, un bouquet sauvage ou une corbeille à offrir pour l’anniversaire des cent ans de sa naissance : Mars 2021.

Je suis dans ses mots… dans la composition des blocs-notes éparpillés, comme elle en avait l’espoir.

Je vous donne une idée de la moisson d’automne que j’engrange : Quelques mots, phrases, pensées pour préparer, amorcer, esquisser, vous faire partager le plaisir que je trouve à cette arrière-saison.

Ils viennent de 3 pages isolées par Anne Pierjean, sans doute tirées (mais je n’en suis pas sûre) de ce qui a contribué au manuscrit « Marie, les mots et le jardin » (7 fois remanié et jamais proposé à l’édition car elle ne l’estimait pas prêt) :

« Marie n’avait pas le temps d’y penser (…) comme pressée soudain d’une urgence imparable, elle avait réfléchi, pensé et mis en mots, à des cadences effrayantes : des bloc-notes et des poèmes, des cahiers et des feuilles qu’elle perdait et jetait, qu’elle ne relisait pas, des pluies, des averses de mots, des tornades et des cyclones dans de grands balancers cautérisants, berceurs, dont elle avait pleuré en larmes.

(…)
Des pensées, des pensées, des mots, des mots – nés peut-être depuis toujours-  qui s’échappaient en vrac, en troupeaux, en essaims, multicolores et triomphants, saoulés de leurs cadences libres, imparables, inarrêtables.

On cesse de pleurer mais cesse-t-on les mots ? Elle ne les quittait plus, essayant de trouver une reine aux essaims, un berger au troupeau, une synthèse au vrac.
(…)

Comment les mots auraient-ils pu cesser ? Leur apprivoisement demanderait cent vies.
Elle ne pouvait que les poursuivre incessamment dans les limites de la sienne.

Alors, elle avait fait ce que l’on fait des mots, de longues lettres aux enfants, aux amis puis aux enfants encore.
Puis, quelques contes.
Puis quelques manuscrits jetés au feu… parce qu’ils étaient trop elle et trop grandeur nature de sa vie…
Puis quelques livres publiés.
Et toujours ses blocs-notes et ses cahiers volants qu’elle entassait, puis qu’elle jetait en bloc sans les revoir, juste festins qui laisseraient, dans sa tête et dans ses oreilles, des appels germinaux, juste appeaux pour d’autres envols…
… et des appeaux d’appeaux d’appeaux, pour pages volantes et perdues, inlassablement revenues sous d’autres aspects, d’autres phrases (tant les mots essentiels, étouffant tous les autres, ont des pouvoirs de revenir sous des formes de plus en plus parachevées et proches de l’idée entrevue),
comme si tout s’effectuait par de minuscules clivages que l’on croit chacun abouti parce que le regard en est là, que l’oreille en est là aussi,

et puis l’infime avance du regard, le recul de l’oreille et le clivage nécessaire à l’infime avance du mot –et l’imprécisable importance des temps morts entre les clivages…

Et la ciselure obstinée qu’il faut pourtant figer un jour mais ciselable encore au-delà du regard –au-delà de l’oreille aussi– en des ultra-sons audibles qui sont peut-être le seul lien, le seul courant qui passe. »

 

Ce long passage pour vous indiquer où j’en suis, concernée, émue, résonante, regard et oreille tendus, dans la perspective précise de vous offrir, au printemps, l’utra-son de ses mots et le chemin de sa vie, car, dispersé et fougueux, « le torrent » des mots de Marie  a trouvé la plaine …

 

Edito de Octobre 2020

En attendant l’édito, mise en ligne  du texte « l’arbre qui m’a bercée » :

La vie était belle au village, j’avais sept ans, Papa m’aimait, Maman m’aimait, ma petite sœur m’embêtait mais c’était encore un bébé.

Ce jour-là je cueillais des pervenches au chemin de la Font du Roux dans la combe du Hêtre – un arbre que j’aimais car il cachait son pied dans un grand fouillis d’acacias pratiquement impénétrable, plein d’épines.

J’avais pratiqué un tunnel. Je m’y coulais. Et très vite, j’étais au hêtre qui offrait ses rameaux disposés en échelle. J’y grimpais jusqu’à la triple fourche qui était MON fauteuil. C’était MON arbre, MON secret, et seul mon père le savait.

Les autres enfants l’ignoraient qui n’y venaient jamais –et j’avais une preuve que ce hêtre n’était qu’à moi : quatre bonbons dans une boîte coincée entre des branches n’avaient jamais été mangés.

Donc, au bord du chemin et tout près de mon arbre, je cueillais des pervenches.
J’en avais fait une pelote énorme liée d’une herbe souple et je l’avais posée sur un tapis de lierre quand j’ai vu courir la mémée :

– Malissou, ma pauvre petite…
– quoi, Mémée ?
– Ton Papa…
– je n’ai pas dit :« son mal a empiré ? », j’ai soufflé gravement : « il est mort ».
– quel malheur, a soupiré simplement la mémée.

Et j’ai couru, tirée par elle, une pervenche aux doigts.

Maman n’était plus ma maman. Elle n’était qu’une plainte sourde, entre-coupée , qui s’épuisait, se reprenait, à la façon du cri d’un chien qui hurle la mort sous la lune.

Ma petite sœur, effrayée, geignait à l’unisson, se jetait à droite et à gauche, agrippée à sa mère et des voisines s’affairaient du haut en bas de la maison.

Afin qu’elle me voie j’ai tiré Maman par sa manche.
Elle m’a saisie si violemment que j’ai eu brusquement une peur indicible : Papa était déjà de l’autre côté de la vie et Maman louvoyait aux crêtes de l’abîme où nous allions tomber ensemble.

J’ai saisi la mémée Tasine par son long tablier d’aïeule et elle m’a rabattue contre elle.

Maman se débattait toujours dans les bras des voisines.
– Louise, ma Louise ! suppliait l’une d’elle
– j’emmène Malissou ! a soufflé la mémée, me serrant au creux de ses bras.

Je ne pleurais pas.
Je ne parlais pas.
J’avais peur des mots qui diraient mon père, la vie que nous aurions désormais, Maman hagarde et ma petite sœur prise au tourbillon du désordre. J’ai demandé :

– Mémée, laisse-moi aller à la Font du Roux, j’y ai oublié ma pelote de pervenches.
– Reviens-vite ! a dit la mémée Tasine. Ne me fais pas languir ce jour.
– oui, oui ! je finis juste le bouquet.

J’avais menti : le bouquet était fait.
Mais pouvais-je dire, à cette heure, que je voulais MON arbre, serrer son tronc entre mes bras, lui expliquer tout sans paroles, l’écouter me bercer de ses réponses d’arbre. Et j’allais, je courais.

Sans grimper à ses branches, j’ai saisi son fût à pleins bras, je meurtrissais ma joue à son écorce, je serrais de toutes mes forces, jamais plus, debout devant moi, je ne tiendrais ainsi mon père, jamais plus je n’appliquerais mon oreille à sa rude chemise jusqu’à entendre battre la force de son cœur qui accordait le mien. C’était fini. FINI. Et j’étreignais mon arbre, mes petits pieds contre son vaste pied, mes sandales sur ses racines bosselées que je sentais enfoncer mes semelles.

Le vent passait haut dans les branches. L’arbre s’est mis à clapoter, à déverser en moi des mots puissants et inaudibles, ceux que je voulais, que j’attendais.

Je percevais en lui le bruit des feuilles et des bêtes, et cela a grandi, a gagné le large des bois et le grand lointain de la vie. C’était si fort, soudain, qu’un rayon de soleil a ruisselé en gouttes larges, constellant d’ocelles mouvantes mon tablier d’écolière. Absente et éblouie je les suivais du bout d’un doigt et mes larmes, enfin, se sont mises à couler et les mots sont venus : Papa.

Mon cœur tapait contre l’écorce grise. Je le sentais bercé jusqu’à se mettre à l’unisson.

– Malissou ? appelait la mémée Tasine dans le chemin de la font du Roux.
– Oui, oui, Mémée.
J’ai posé ma peine au creux de mon arbre et glissé trois pervenches à trois fentes d’écorce.
–  oui, oui, Mémée.

Au sol, j’ai redressé les herbes piétinées comme on fermerait une porte puis j’ai pris mon tunnel et dévalé la combe.

Elle m’attendait sur le chemin, le nez levé vers le sommet de l’arbre.

Par-dessus les acacias clairs qui ébauchaient une verdure printanière, le hêtre touchait le ciel bleu de ses rameaux puissants, encore noueux d’hiver.

La mémée m’a serrée contre elle.
– A ton âge, ton père se perchait toujours dans le hêtre.

J’aimais la mémée. Elle était, en ce jour, mon seul pôle solide.
– Viens voir, Mémée.
Toute petite, elle m’a suivie sous les épines d’acacias.

– Mémée, regarde là-haut : c’est MA fourche… Vois les pervenches dans l’écorce…

La mémée a bien regardé les pervenches… Puis moi… puis encore les pervenches, comme si elle voyait s’ouvrir le ciel.
Puis elle a tendu ses paumes vers mes joues pour ramener, vers elle, mon visage.
Le hêtre exhalait son silence sonore.
Ses lèvres sur mes yeux mouillés, la mémée a soufflé : « Ma grande… »

         Et nous avons pu, l’une l’autre, embrasser doucement nos larmes.

Anne Pierjean

Fin septembre 2020

Temps mélancolique et vigoureux ensemble.
Je l’aime.
Le vent fouette les arbres toujours verts.
Seuls les prunus et les pruniers se défeuillent–pourpre sur l’herbe verte encore gorgée des averses de fin septembre,
Et tourbillons violets en débandade.

Anne, petite, voyait en chaque feuille morte une souris qui s’enfuyait : « regarde comme elle court devant le froid qui vient ! ».
Soudain, le nez de ma petite fille à la fenêtre de jadis dans un rond de buée, sa voix d’enfant. Les souvenirs courent avec les feuilles et je les aime aussi et m’émerveille, à l’intime de moi où tout me hèle en ce moment.

Souvenirs burinés à l’obscur des mémoires et, soudain, en voilà un qui vient, précis comme une herbe focalisée dans l’étendue du pré, et je ne vois plus qu’elle.
Une herbe.
Un souvenir…
Un nez écrasé à la vitre.
Humble noblesse de tout l’obscur en soi qui se donne, soudain, en rameutant la Joie que l’on croyait perdue  –qui était là, pourtant, au plus obscur de cet illisible archivage qui décide de la seconde où il me l’offrira.
L’obscur sait mieux que moi les constellations de mon ciel aux fragiles balans d’étoiles et il sait, mieux encore, mes fragiles balans de la vie quotidienne,

et il branche, débranche,
pour que le courage perdure,
et son instinct de vie et son instinct de joies qui font feu de tout bois.

    Et moi je m’émerveille…
De son rôle superbe ?
Son humble rôle ?
Son rôle muet, en tous cas.

Il est ma Part Royale, je l’aurai dit à tous les vents.
Comme j’aurai dit à tous vents que je n’ai que la tâche de déblayer devant sa porte, de clarifier son accès… grattages, balayages, mais, plus souvent encore, cette confiance existentielle :
Il est, alors je suis, à moins que ce ne soit l’inverse,

Mais c’est sans importance, l’essentiel étant bien cette interaction qui me porte.

Anne Pierjean, Automne 1998

 

En guise d’édito de septembre

Un peu gommé par les préoccupations de l’instant (la lecture du 30 août, le Forum du 5 septembre et mes quelques jours de vacances évadées), l’édito peut prendre aujourd’hui la forme d’un lendemain de fête avec l’empreinte en moi de la lecture d’hier, à Chabrillan, forte et douce.

Ce fut un beau moment de partage. Il m’a semblé que l’écriture s’y écoutait comme une musique.

En remerciements aux amis du vieux Chabrillan (qui m’ont invitée à partager les journées du patrimoine avec des souvenirs de leur jeune instit de 1944-45) j’envoie un beau texte qui s’accorde aux beaux arbres de leur village. Il a été publié en son temps par la revue « les épines drômoises » (« l’arbre qui m’a bercée » que je partagerai plus tard sur le site !).

Et je mets en ligne ce poème d’Anne Pierjean, en hommage à la fin de l’été.

Yeux mi-clos
Joie d’un septembre encore été, plus la sagesse.
En filigrane
Tant de soleils, d’enfants et de bleu clair
Jubilation au creux surcreusé de mon ventre.

Mes doigts cliquètent maille à maille leurs chapelets de laine
Et le tricot des mots orchestre
Et borde l’heure.
J’entends, lointain, le tic-tac à rebours qui me sous-tend le temps
Et dès lors m’offre
La brève éternité intense
De l‘instant.

*

17 Septembre 2020

Actualité , 17 septembre 2020 : rendez-vous à Chabrillan dimanche 20 septembre, journées du patrimoine

Petite pause après le Forum (où nous avons échangé avec quelques visiteurs dans une ambiance agréable) et nous reprenons avec notre participation aux journées du patrimoine : une lecture-rencontre à Chabrillan, sur l’invitation des amis du vieux Chabrillan et avec la complicité de lecteurs et lectrices qui se souviennent… des livres d’Anne Pierjean mais aussi de l’institutrice qu’elle y fut en 1944-45.

Après une balade entre les deux écoles du village et les souvenirs évoqués, ce sera une rencontre simple et une lecture à la salle polyvalente à 16 H :

lecture offerte de passages d’écrits d’Anne Pierjean, édités et inédits mixés… clins d’œil à l’enfance, à l’école et aux conteurs et conteuses dont Anne Pierjean conservait l’empreinte et entretenait la voix… En écrivant « une enfance contée » et « Anne des Collines », elle remerciait les anciens pour la richesse qu’il lui avait transmise.

« Mon père, ma grand-mère –et qui encore en remontant le temps ?– ont dû me transmettre le gène : ce pas vulnérable qui fait lever les mots à sa mesure… comme un chant de rencontre de la vie et des autres ? (…) J’en ai marché, j’en ai vécu. »

A dimanche !

 

 

31 Août 2020

« Paul et Louise » est le premier livre de ce qu’Anne Pierjean appelait sa trilogie dauphinoise.

En hommage à sa mère Louise et son père Paul, elle l’avait écrit après s’être imprégnée longuement de rencontres avec les anciens de leur village et des villages proches, au cours de veillées où elle les avait longuement écoutés…

C’est un hommage à leur génération, un hommage à la terre, et à l’amour qui traverse les générations et les drames en y inscrivant la vie dans toute sa force.

Ainsi parlaient-ils, mi-patois mi-français, de ce qu’avaient été leurs vies avant 1914, pendant, au-delà et à l’arrière de la guerre.
Ainsi s’est inscrite, dans ces trois livres, une chronique d’un temps passé mais qui nous parle encore, et fort.

En émotions, angoisses, en perceptions et intuitions, humaines… en sentiments profonds et simples comme l’amour, la peine, la solidarité, l’entr’aide, le sentir de la terre, et, en-dessous, la sensation, à fleur de peau, de s’inscrire comme un maillon dans la chaîne de l’histoire… qui brise, parfois, et parfois construit, va de l’avant, en tous cas.

« Paul et Louise » est d’abord une belle et forte histoire d’amour qui commence dans l’enfance… « ils s’aimèrent sans le savoir… ils s’aimèrent et le surent »)

Après ce « Paul et Louise » il y eut « Loïse en sabots », un autre versant de cette guerre… et la mise en abîme d’autres amours, d’autres guerres… celles qui « font des trous » comme le dit un des personnages … il s’agit encore de la guerre de 14, et des paysans à l’arrière (le garde qui passe dans les campagnes, un crêpe noir au képi, pour annoncer un deuil dans une ferme… et ceux qui le regardent passer, appréhendent son passage…).
Le récit ne nous épargne rien de l’impensable de la guerre vécue à l’arrière, celle-là ou une autre (préfigurant un autre livre « le temps de Julie » où il s’agira de la guerre de 40)… mais il le fait en mots qui suggèrent un au-delà des faits, décrivent en orfèvres les sentiments et font apparaître en filigrane ce que chacun est, au fond de lui-même, faisant exploser parfois l’horreur de l’incertitude au quotidien, ou le bonheur animal d’une naissance comme l’insoutenable d’un deuil.

Plus tard, dans « Saute-caruche », c’est de paternité qu’il s’agit, de découverte des racines et des secrets qui changent la vie du tout au tout.

La lecture de « Paul et Louise » dans le cadre du jardin cher à Anne Pierjean, a permis à certains de découvrir une auteure et aux autres de la retrouver. J’espère qu’elle aura donné à tous le plaisir et l’envie de la lire ou relire.

Au temps de cette trilogie, parue entre 1975 et 1977, aux Edition G.P, rééditée ensuite en Castor Poche (et dont Louise aura eu le temps de lire le premier livre), des critiques littéraires reconnus comme Marc Soriano et Raoul Dubois, envisageaient qu’elle pourrait entrer dans le domaine de la littérature classique.
« Paul et Louise » eut 5 Prix prestigieux.

Ce sont des textes à lire et entendre au rythme de son cœur, en prenant tout le temps d’en savourer les mots.

Anne G

 


Accueil à partir de 18 H,
le temps de vous installer confortablement!
à La Bastelle, 47, avenue Agirond à Crest

Lecture dans le jardin mais masques recommandés tout de même.

Parking proche:  champ de Mars

L’ Edito d’Anne

Edito Août 2020

Août, août, août, aux grands chambardements de passagers de l’été, aux chaleurs suffocantes, aux fleurs estompées de soleil, au pré grillé, aux orages espérés, aux siestes imposées, aux cigales attendues, aux balades en montagnes, aux grillades joyeuses enfumées de spirales anti-moustiques, aux petits vins du val de drôme dégustés entre amis … août, août…

Déjà des pensées et des anxiétés d’arrière-saison mais août dans le présent, en vacances dont il faut profiter à tout prix. Déjà des pensées refoulées de rentrées, refusées, bousculées mais perceptibles malgré soi.

Les étoiles filantes qu’on cherche au ciel, le soir, les lectures légères qu’on digère à l’ombre, les bilans souterrains de l’année écoulée jusqu’à juin, du creux de cette pause estivale, sacro-sainte et partagée, vantée malgré les contre-chants, illustrée de festivals, abrégés cette année mais rappelés, pensés, remplacés… été oblige, fatigue et rêves d’évasion, pause salutaire, emballement profond d’une vieille mémoire d’enfance qui gambade aux prés d’alpages et s’approche des ravins, le cœur battant….

La vie court…

Les arbres qui chantonnent et bruissent dans le vent qui ride l’eau, les bonheurs d’enfants qui s’échappent dans le courant, les sommets qui se font attendre et emballent le cœur, la vie majuscule entre deux états d’être… Que sera la rentrée ? Que sera le retour ?

Que sera l’hiver aux nouvelles inquiétudes ? Que sera la suite ?

Etre en majuscules pour croquer le présent à plein élan.

Que sera l’Association ? elle vivra, elle sera, en mots toujours, en mots lus, en mots écrits, en mots partagés … d’une manière ou d’une autre, nous trouverons le pas.

Quelques mots de « Paul et Louise » que la compagnie Zazie 7 lira dans le jardin le 30 aôut prochain, si tout va bien …
Il y est question d’août :

« …une drôle de peur qu’il ne savait formuler mettait un malaise en lui. On vivait 1913. Il était de la classe. Il allait être conscrit avant de partir à vingt et un ans. Or de mauvais bruits passaient.
(…)
– De guerre ? avait dit Fernand Bivier. Parlez pas de couillonnades ! moi, je n’y crois guère. De guerre on en parle depuis bien longtemps et puis les choses s’arrangent.
(…)
– ça couve, ça couve opinait le voyageur qui ne démordait de rien.
(…)
La guerre il n’en voulait pas et, pour couper court, il acheta deux chemises au voyageur-discoureur qui plia bagage et rentra son pessimisme au fond de sa barbe.
(…)
Mais Paul gardait dans son coeur une inquiétude profonde. (…) … cette obscure peine lourde.
S’il n’y avait eu que lui…
Mais il y avait Louise…
Et le Maset où les terres demandaient tant de travail…

Et puis tant de vie en soi faite pour servir la vie, élever des bêtes et greffer des arbres : toutes ces choses qui poussent, qui verdissent, qui bourgeonnent, qui s’entrouvrent à leur tour pour donner la vie…, toute cette vie des terres et des bêtes, des plantes et des êtres, qui niait la mort, qui niait la guerre…

Un soir, Paul était assis sur la margelle du puits.
Louise aussi se trouvait là.
Il tira le seau, le posa à terre et prit Louise dans ses bras.
-Louise, s’il y avait la guerre ?
– Ne parle pas de malheur, dit Louise tout bas. Mais je t’attendrais aussi longtemps qu’il faudrait.

Paul regarda Louise, si fraîche, si jeune, qui voulait le droit de vivre, de vivre avec Paul, comme lui voulait le droit de vivre avec Louise en payant de son travail qui ne lésinerait pas.

Il dit : « ce serait absurde » et se rassura un peu, comme si l’absurde était exclu de la vie –passé, présente et future– de la condition humaine.

Il redit tout bas: «ce serait absurde », et serra Louise très fort.

Alors il laissa quelques moments ses angoisses.
Louise dans ses bras barrait un temps l’horizon.
Et ils regardaient la lune se lever énorme et rouge au-dessus des sapins noirs. 

Et la guerre vint le 2 août 1914, avec ses tocsins sur les chaumes blonds, et de grands vols de corneilles s’envolèrent des clochers, striant de cris noirs le ciel d’un bleu dur »

tiré de « Paul et Louise », Anne Pierjean, 1975.

Edito mi-été 2020

De juin en juillet peu de changement si ce n’est le déconfinement et les projets qu’on ose doucement reprogrammer… l’été s’avance à grand vent, grillant tout sur son passage ! les dates annulées ne sont pas encore reconduites précisément, vacances et prudence obligent… si les conditions le permettent, j’espère que nous nous retrouverons à Allex et St Avit en octobre ou novembre, pour les lectures initialement prévues en juin.

Notre actualité presque immédiate est une lecture de «Paul et Louise », le 30 aout prochain : lecture d’extraits choisis pour retracer l’histoire d’enfance et d’amour de Paul et Louise, jeunes paysans en Dauphiné, à l’approche de la guerre de 1914.

Le roman d’Anne Pierjean, adapté et théâtralisé par Hélène Gaud a déjà été lu dans ce même jardin, de manière un peu confidentielle, en 2015 par la compagnie Zazie 7… C’est elle qui m’a proposé une reprise durant la période où le temps suspendu nous préoccupait…  nous amenait à annuler toutes les dates prévues et à en poser d’autres, à tout hasard, sur le calendrier d’été !

Cette lecture se passera dans mon jardin, La Bastelle, 47, avenue Agirond, à Crest :  Le dimanche 30 août à 18 H.


Une participation de 10 € ,« raisonnée et raisonnable », sera demandée.
Nous serons heureux de partager ce moment et le verre de l’amitié ensuite.

Le 5 septembre nous serons au Forum des associations, j’espère vous y croiser nombreux à nouveaux.

Je vous y parlerai du nouveau projet de l’association Anne Pierjean, les mots et le jardin :
la création d’un atelier de lecture à voix haute, à la rentrée :  Passeurs de mots.

Cet atelier sera animé par Claudine Delaine, fervente lectrice qui a mis en scène de nombreux textes et qui, revenue dans la région, a toujours été habitée par la passion des mots.

Elle a déjà mis en scène une lecture hommage de « l’Instant exact » d’Anne Pierjean, en 2003, et guidera avec bonheur ceux qui auront envie de s’initier à la lecture à voix haute ou de se perfectionner… une approche du bonheur de partager en prime !

Cet atelier permettra à ceux qui le souhaitent de s’exercer à lire à voix haute des textes de leur choix, d’Anne Pierjean et d’autres, de septembre 2020 à juin 2021.

Il se déroulera chez moi chaque semaine, dans la maison où Anne Pierjean a vécu et écrit : jour et heures restent à préciser, en tenant compte des avis et désirs des premières personnes intéressées qui me joindront au 06 08 15 64 05.

L’horaire sera plutôt en fin d’après-midi après les heures de travail ou de classe, si des lycéens sont intéressés.

Le « travail » de l’année se clôturera par une présentation publique. Des détails d’organisation restent à régler mais l’idée est lancée ! j’espère la mise en route dès que possible d’un petit groupe motivé par le plaisir de lire et de transmettre de beaux textes!

Bel été, bonnes vacances et à bientôt !

Edito juin 2020

Deux mois sans écrire ni édito ni journal de confinement, alors que je pensais faire le contraire !

Deux mois à vivre, carpe diem, au rythme des heures, des nouvelles, des films, des lectures, des fleurissements successifs du jardin, des pensées pour soi et pour les autres… deux mois qui ont tranché dans le rythme des jours, des soucis et des occupations ou préoccupations, installé une différence, par moments infime, quasi invisible, impalpable, et par moments surréaliste, surdimensionnée, énorme, entre un « avant » et un « après » envisagé…

Au fondu-enchaîné de la reprise des sorties sans dérogation, l’esprit et le corps ont mis du temps à se rejoindre au même pas. Le temps d’un déconditionnement progressif… sans que je parvienne vraiment à savoir lequel, du corps et de l’esprit, est en avance sur l’autre.

La ré-assurance est maladroite, hésitante. La vie semble reprendre alors qu’elle n’a jamais cessé. Les gestes de la vie restent constants, pourtant tout ne se remet pas en ordre comme avant.

Les projets de l’association ont été suspendus : les interventions en classe, interrompues, ne pourront pas reprendre avant les vacances d’été, les lectures prévues en juin, à Crest et Allex, seront reprogammées, celle de septembre à St Avit n’est pas encore fixée.

Rien ne presse.

Une lecture de « Paul et Louise » est cependant prévue le 30 Août, dans le jardin de La Bastelle, par la Compagnie Zazie7. 

L’association tiendra un stand, cette année encore, au Forum des Associations de Crest, le 5 septembre et continue sa route, en conscience et réminiscences.

                                                  *           *         *         *         *

Une citation attribuée à Confucius, retrouvée dans mes notes m’a fait sourire, récemment, et me paraît tellement pertinente :

« L’homme a deux vies, la seconde commence lorsqu’il s’aperçoit qu’il n’en a qu’une ».

Edito d’Avril 2020

Ce que l’on est ? Qu’importe.
Le temps est révolu. Transmettre
le DIRE, en mots épars
mais d’un seul cri.
Ce qu’est le cri ? Qu’importe
seule la chaleur compte.
Garder les mains nues
et ouvertes.

Anne Pierjean

Ce mois de mars a passé si étrangement. Si vite aussi. Je n’arrive pas à réaliser que nous sommes à deux pas d’avril.

Pourtant le printemps est bien là et je l’ai célébré tous les jours, éblouie de ses instants successifs…
Pourtant le tulipier a déployé son voile rose puis ses feuilles vert tendre…
Pourtant tour à tour les arbres fleurissent et les tulipes pointent et les pivoines se préparent, rouges pointes aiguisées qui sortent vivement de terre, robustes.

Le temps est suspendu bien qu’il s’écoule et passe.
Il est irréel et je le regarde, incrédule.

J’ai cru écrire un journal de confinement et j’ai tant lu et entendu que je ne l’ai pas fait.
Il me semble vivre deux temps parallèles dont un ne s’imprimerait pas…

L’isolement qui dure installe dans un drôle de mouvement intérieur, repli, craintes, pensées confuses …

Je n’aime pas sortir… aller déposer mes poubelles à 50 m me fait peur… je recule chaque jour au suivant… rien ne presse que de rester à l’abri… un abri totalement fragile, se protéger, protéger les autres, respecter, préserver, opérer, choisir, trier, définir les priorités… fouiller au fond de soi.

Une émotivité fleurit, fugitive et vive au bout de mes cils pour des presque rien, un mot, une image, un mouvement sur le net, des paroles offertes…
Signal de tout ce mouvement souterrain qu’il ne faut pas négliger.

Anne en mars 2020

et puis…

Edito de Mars 2020

Le 6 mars reste le jour de l’anniversaire d’Anne Pierjean, je retrouve dans ses notes ce souvenir émouvant :

« Petite fille,
ils ont semé le jardin que je sème et où tu viens grandir.
Ils ont semé la vie que j’aime et que tu viens aimer.
Ils ont reçu, ils ont donné.
Ils sont partis, tu continues. 


Le seul poème de mon père dont je me souvienne.
Il en faisait un pour mon anniversaire et pour les fêtes, et je les récitais à Maman ». 1997

Réminiscences transmises. Je relis. Et ses mots me rejoignent…
« Ils ont semé ce jardin que je sème et où tu viens grandir »…

Mars m’a imposé son rythme, intensément consacré en son début à des travaux dans la maison… Mes gestes pour la faire belle se sont inscrits en souvenirs, silencieusement offerts, ils ont chuchoté intérieurement comme à la préparation un cadeau d’anniversaire.
Le jardin, lui, parle fort !
Le tulipier, planté à l’angle sud, nous offre sa floraison superbe. Je sais qu’elle l’a aimé. Je continue.

Ma vie accompagne la vie qui fut ici, aux derniers pas… « Ils ont semé la vie que j’aime… »

L’actualité de l’association est un peu suspendue par les vacances scolaires : les enfants de la classe d’Eurre ont emporté des livres d’Anne Pierjean et m’en parleront à la rentrée. Nous reprendrons notre cheminement pédagogique vers leur propre écriture, leur éveil aux mots à voix haute et à l’émotion qu’ils tricotent.

Les enfants d’une classe de l’école APJ m’ont écrit, suite à la nuit de la lecture et m’invitent à un moment de partage. Bien sûr, cela se fera !

A bientôt