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Edito Août 2020

Août, août, août, aux grands chambardements de passagers de l’été, aux chaleurs suffocantes, aux fleurs estompées de soleil, au pré grillé, aux orages espérés, aux siestes imposées, aux cigales attendues, aux balades en montagnes, aux grillades joyeuses enfumées de spirales anti-moustiques, aux petits vins du val de drôme dégustés entre amis … août, août…

Déjà des pensées et des anxiétés d’arrière-saison mais août dans le présent, en vacances dont il faut profiter à tout prix. Déjà des pensées refoulées de rentrées, refusées, bousculées mais perceptibles malgré soi.

Les étoiles filantes qu’on cherche au ciel, le soir, les lectures légères qu’on digère à l’ombre, les bilans souterrains de l’année écoulée jusqu’à juin, du creux de cette pause estivale, sacro-sainte et partagée, vantée malgré les contre-chants, illustrée de festivals, abrégés cette année mais rappelés, pensés, remplacés… été oblige, fatigue et rêves d’évasion, pause salutaire, emballement profond d’une vieille mémoire d’enfance qui gambade aux prés d’alpages et s’approche des ravins, le cœur battant….

La vie court…

Les arbres qui chantonnent et bruissent dans le vent qui ride l’eau, les bonheurs d’enfants qui s’échappent dans le courant, les sommets qui se font attendre et emballent le cœur, la vie majuscule entre deux états d’être… Que sera la rentrée ? Que sera le retour ?

Que sera l’hiver aux nouvelles inquiétudes ? Que sera la suite ?

Etre en majuscules pour croquer le présent à plein élan.

Que sera l’Association ? elle vivra, elle sera, en mots toujours, en mots lus, en mots écrits, en mots partagés … d’une manière ou d’une autre, nous trouverons le pas.

Quelques mots de « Paul et Louise » que la compagnie Zazie 7 lira dans le jardin le 30 aôut prochain, si tout va bien …
Il y est question d’août :

« …une drôle de peur qu’il ne savait formuler mettait un malaise en lui. On vivait 1913. Il était de la classe. Il allait être conscrit avant de partir à vingt et un ans. Or de mauvais bruits passaient.
(…)
– De guerre ? avait dit Fernand Bivier. Parlez pas de couillonnades ! moi, je n’y crois guère. De guerre on en parle depuis bien longtemps et puis les choses s’arrangent.
(…)
– ça couve, ça couve opinait le voyageur qui ne démordait de rien.
(…)
La guerre il n’en voulait pas et, pour couper court, il acheta deux chemises au voyageur-discoureur qui plia bagage et rentra son pessimisme au fond de sa barbe.
(…)
Mais Paul gardait dans son coeur une inquiétude profonde. (…) … cette obscure peine lourde.
S’il n’y avait eu que lui…
Mais il y avait Louise…
Et le Maset où les terres demandaient tant de travail…

Et puis tant de vie en soi faite pour servir la vie, élever des bêtes et greffer des arbres : toutes ces choses qui poussent, qui verdissent, qui bourgeonnent, qui s’entrouvrent à leur tour pour donner la vie…, toute cette vie des terres et des bêtes, des plantes et des êtres, qui niait la mort, qui niait la guerre…

Un soir, Paul était assis sur la margelle du puits.
Louise aussi se trouvait là.
Il tira le seau, le posa à terre et prit Louise dans ses bras.
-Louise, s’il y avait la guerre ?
– Ne parle pas de malheur, dit Louise tout bas. Mais je t’attendrais aussi longtemps qu’il faudrait.

Paul regarda Louise, si fraîche, si jeune, qui voulait le droit de vivre, de vivre avec Paul, comme lui voulait le droit de vivre avec Louise en payant de son travail qui ne lésinerait pas.

Il dit : « ce serait absurde » et se rassura un peu, comme si l’absurde était exclu de la vie –passé, présente et future– de la condition humaine.

Il redit tout bas: «ce serait absurde », et serra Louise très fort.

Alors il laissa quelques moments ses angoisses.
Louise dans ses bras barrait un temps l’horizon.
Et ils regardaient la lune se lever énorme et rouge au-dessus des sapins noirs. 

Et la guerre vint le 2 août 1914, avec ses tocsins sur les chaumes blonds, et de grands vols de corneilles s’envolèrent des clochers, striant de cris noirs le ciel d’un bleu dur »

tiré de « Paul et Louise », Anne Pierjean, 1975.

Edito juin 2020

Deux mois sans écrire ni édito ni journal de confinement, alors que je pensais faire le contraire !

Deux mois à vivre, carpe diem, au rythme des heures, des nouvelles, des films, des lectures, des fleurissements successifs du jardin, des pensées pour soi et pour les autres… deux mois qui ont tranché dans le rythme des jours, des soucis et des occupations ou préoccupations, installé une différence, par moments infime, quasi invisible, impalpable, et par moments surréaliste, surdimensionnée, énorme, entre un « avant » et un « après » envisagé…

Au fondu-enchaîné de la reprise des sorties sans dérogation, l’esprit et le corps ont mis du temps à se rejoindre au même pas. Le temps d’un déconditionnement progressif… sans que je parvienne vraiment à savoir lequel, du corps et de l’esprit, est en avance sur l’autre.

La ré-assurance est maladroite, hésitante. La vie semble reprendre alors qu’elle n’a jamais cessé. Les gestes de la vie restent constants, pourtant tout ne se remet pas en ordre comme avant.

Les projets de l’association ont été suspendus : les interventions en classe, interrompues, ne pourront pas reprendre avant les vacances d’été, les lectures prévues en juin, à Crest et Allex, seront reprogammées, celle de septembre à St Avit n’est pas encore fixée.

Rien ne presse.

Une lecture de « Paul et Louise » est cependant prévue le 30 Août, dans le jardin de La Bastelle, par la Compagnie Zazie7. 

L’association tiendra un stand, cette année encore, au Forum des Associations de Crest, le 5 septembre et continue sa route, en conscience et réminiscences.

                                                  *           *         *         *         *

Une citation attribuée à Confucius, retrouvée dans mes notes m’a fait sourire, récemment, et me paraît tellement pertinente :

« L’homme a deux vies, la seconde commence lorsqu’il s’aperçoit qu’il n’en a qu’une ».

Edito d’Avril 2020

Ce que l’on est ? Qu’importe.
Le temps est révolu. Transmettre
le DIRE, en mots épars
mais d’un seul cri.
Ce qu’est le cri ? Qu’importe
seule la chaleur compte.
Garder les mains nues
et ouvertes.

Anne Pierjean

Ce mois de mars a passé si étrangement. Si vite aussi. Je n’arrive pas à réaliser que nous sommes à deux pas d’avril.

Pourtant le printemps est bien là et je l’ai célébré tous les jours, éblouie de ses instants successifs…
Pourtant le tulipier a déployé son voile rose puis ses feuilles vert tendre…
Pourtant tour à tour les arbres fleurissent et les tulipes pointent et les pivoines se préparent, rouges pointes aiguisées qui sortent vivement de terre, robustes.

Le temps est suspendu bien qu’il s’écoule et passe.
Il est irréel et je le regarde, incrédule.

J’ai cru écrire un journal de confinement et j’ai tant lu et entendu que je ne l’ai pas fait.
Il me semble vivre deux temps parallèles dont un ne s’imprimerait pas…

L’isolement qui dure installe dans un drôle de mouvement intérieur, repli, craintes, pensées confuses …

Je n’aime pas sortir… aller déposer mes poubelles à 50 m me fait peur… je recule chaque jour au suivant… rien ne presse que de rester à l’abri… un abri totalement fragile, se protéger, protéger les autres, respecter, préserver, opérer, choisir, trier, définir les priorités… fouiller au fond de soi.

Une émotivité fleurit, fugitive et vive au bout de mes cils pour des presque rien, un mot, une image, un mouvement sur le net, des paroles offertes…
Signal de tout ce mouvement souterrain qu’il ne faut pas négliger.

Anne en mars 2020

et puis…

Edito de Mars 2020

Le 6 mars reste le jour de l’anniversaire d’Anne Pierjean, je retrouve dans ses notes ce souvenir émouvant :

« Petite fille,
ils ont semé le jardin que je sème et où tu viens grandir.
Ils ont semé la vie que j’aime et que tu viens aimer.
Ils ont reçu, ils ont donné.
Ils sont partis, tu continues. 


Le seul poème de mon père dont je me souvienne.
Il en faisait un pour mon anniversaire et pour les fêtes, et je les récitais à Maman ». 1997

Réminiscences transmises. Je relis. Et ses mots me rejoignent…
« Ils ont semé ce jardin que je sème et où tu viens grandir »…

Mars m’a imposé son rythme, intensément consacré en son début à des travaux dans la maison… Mes gestes pour la faire belle se sont inscrits en souvenirs, silencieusement offerts, ils ont chuchoté intérieurement comme à la préparation un cadeau d’anniversaire.
Le jardin, lui, parle fort !
Le tulipier, planté à l’angle sud, nous offre sa floraison superbe. Je sais qu’elle l’a aimé. Je continue.

Ma vie accompagne la vie qui fut ici, aux derniers pas… « Ils ont semé la vie que j’aime… »

L’actualité de l’association est un peu suspendue par les vacances scolaires : les enfants de la classe d’Eurre ont emporté des livres d’Anne Pierjean et m’en parleront à la rentrée. Nous reprendrons notre cheminement pédagogique vers leur propre écriture, leur éveil aux mots à voix haute et à l’émotion qu’ils tricotent.

Les enfants d’une classe de l’école APJ m’ont écrit, suite à la nuit de la lecture et m’invitent à un moment de partage. Bien sûr, cela se fera !

A bientôt

Edito de Février 2020

Une marée d’amandiers en fleurs, là-bas, embrassée ces derniers jours, dans ce sud où je garde quelques racines.

Les chatons des noisetiers, ici, dans le jardin où les primevères ont percé tôt. La saison reste fraîche mais chaude en même temps, aux mi-temps de journées surprenantes de lumière… de cette lumière intense qui caresse les branches rosissantes et attise les bourgeons.

Tout se prépare au printemps, déjà… l’air balance et chuchote ses souffles devant un ciel d’ardoise, du côté du Diois. Il siffle le froid d’ailleurs, pris aux montagnes.

Le dos contre un mur, je savoure l’instant, un lézard file entre les pierres.

L’assemblée générale 2020 se tiendra le 8 février, à 14H30, à La Bastelle, 47, avenue Agirond, à Crest .

Bienvenue à tous ceux qui ont envie de partager bilan et projets, selon les coutumes !…
… Et une petite surprise pour clôturer l’après-midi avant le verre de l’amitié.

Un texte d’Anne Pierjean pour nous accompagner :

« Toutes ces voix qui se sont tues et qui savaient dire la joie de la rosée, du soleil et des fleurs… et des moments superbes où parfois toute pensée s’absente.

Car il arrive que penser n’a plus de sens tant Etre efface la matérialité du pas.

Se sentir Etre, un instant, intouchable, ineffable, impalpable, par l’intangible de la Joie qui vous enlève sur la complicité d’un rien… Un rien, mais on se trouvait là, en appétence, alors l’apesanteur, qui ne nous prend que disponible. »
                                                                                                écrit le 17 décembre 1999.