Août, août, août, aux grands chambardements de passagers de l’été, aux chaleurs suffocantes, aux fleurs estompées de soleil, au pré grillé, aux orages espérés, aux siestes imposées, aux cigales attendues, aux balades en montagnes, aux grillades joyeuses enfumées de spirales anti-moustiques, aux petits vins du val de drôme dégustés entre amis … août, août…
Déjà des pensées et des anxiétés d’arrière-saison mais août dans le présent, en vacances dont il faut profiter à tout prix. Déjà des pensées refoulées de rentrées, refusées, bousculées mais perceptibles malgré soi.
Les étoiles filantes qu’on cherche au ciel, le soir, les lectures légères qu’on digère à l’ombre, les bilans souterrains de l’année écoulée jusqu’à juin, du creux de cette pause estivale, sacro-sainte et partagée, vantée malgré les contre-chants, illustrée de festivals, abrégés cette année mais rappelés, pensés, remplacés… été oblige, fatigue et rêves d’évasion, pause salutaire, emballement profond d’une vieille mémoire d’enfance qui gambade aux prés d’alpages et s’approche des ravins, le cœur battant….
La vie court…
Les arbres qui chantonnent et bruissent dans le vent qui ride l’eau, les bonheurs d’enfants qui s’échappent dans le courant, les sommets qui se font attendre et emballent le cœur, la vie majuscule entre deux états d’être… Que sera la rentrée ? Que sera le retour ?
Que sera l’hiver aux nouvelles inquiétudes ? Que sera la suite ?
Etre en majuscules pour croquer le présent à plein élan.
Que sera l’Association ? elle vivra, elle sera, en mots toujours, en mots lus, en mots écrits, en mots partagés … d’une manière ou d’une autre, nous trouverons le pas.
Quelques mots de « Paul et Louise » que la compagnie Zazie 7 lira dans le jardin le 30 aôut prochain, si tout va bien …
Il y est question d’août :
« …une drôle de peur qu’il ne savait formuler mettait un malaise en lui. On vivait 1913. Il était de la classe. Il allait être conscrit avant de partir à vingt et un ans. Or de mauvais bruits passaient.
(…)
– De guerre ? avait dit Fernand Bivier. Parlez pas de couillonnades ! moi, je n’y crois guère. De guerre on en parle depuis bien longtemps et puis les choses s’arrangent.
(…)
– ça couve, ça couve opinait le voyageur qui ne démordait de rien.
(…)
La guerre il n’en voulait pas et, pour couper court, il acheta deux chemises au voyageur-discoureur qui plia bagage et rentra son pessimisme au fond de sa barbe.
(…)
Mais Paul gardait dans son coeur une inquiétude profonde. (…) … cette obscure peine lourde.
S’il n’y avait eu que lui…
Mais il y avait Louise…
Et le Maset où les terres demandaient tant de travail…
Et puis tant de vie en soi faite pour servir la vie, élever des bêtes et greffer des arbres : toutes ces choses qui poussent, qui verdissent, qui bourgeonnent, qui s’entrouvrent à leur tour pour donner la vie…, toute cette vie des terres et des bêtes, des plantes et des êtres, qui niait la mort, qui niait la guerre…
Un soir, Paul était assis sur la margelle du puits.
Louise aussi se trouvait là.
Il tira le seau, le posa à terre et prit Louise dans ses bras.
-Louise, s’il y avait la guerre ?
– Ne parle pas de malheur, dit Louise tout bas. Mais je t’attendrais aussi longtemps qu’il faudrait.
Paul regarda Louise, si fraîche, si jeune, qui voulait le droit de vivre, de vivre avec Paul, comme lui voulait le droit de vivre avec Louise en payant de son travail qui ne lésinerait pas.
Il dit : « ce serait absurde » et se rassura un peu, comme si l’absurde était exclu de la vie –passé, présente et future– de la condition humaine.
Il redit tout bas: «ce serait absurde », et serra Louise très fort.
Alors il laissa quelques moments ses angoisses.
Louise dans ses bras barrait un temps l’horizon.
Et ils regardaient la lune se lever énorme et rouge au-dessus des sapins noirs.
Et la guerre vint le 2 août 1914, avec ses tocsins sur les chaumes blonds, et de grands vols de corneilles s’envolèrent des clochers, striant de cris noirs le ciel d’un bleu dur »
tiré de « Paul et Louise », Anne Pierjean, 1975.