Archives de catégorie : Edito

Edito de Avril 2021

L’édito d’Anne
avril 2021

Une gerbe d’agir, des fourmis dans les jambes pour courir aux mille appels du jardin, c’est avril et le ton est donné.

Le vent a soufflé fort, froid, longtemps, à l’abord du printemps, les cimes emblanchies autour…  puis les températures ont grimpé et l’enthousiasme des oiseaux s’est éparpillé avec leur pari de recréer. Deux pies ont longuement aménagé leur nid au sommet du pin…

Au pré fleuri, ça jabote, jasote, sifflote, cajole, caracoule, craquote, parlote, papote ! ça roucoule, ça se réjouit, zinzibule, flûte et picasse.

Ainsi, Pâques se profile et si les dates de lectures publiques se posent toujours plus loin, le recueil « Si je regarde par-dessus l’épaule de ma vie » de Anne Pierjean finit de se construire, son prix est fixé : 15 €.

Pour aider l’Association à lancer son impression, nous vous proposons de transformer votre réservation en souscription : j’y reviens très vite, pour vous indiquer comment procéder.

Pour l’heure, entre les joies éclatantes du printemps, les réminiscences d’autres mots, échos qui résonnèrent toujours en Anne Pierjean : deux  moments d’avril, évoqués dans  « Anne des Collines »,  où se sont joué naissances et mort dans l’enfance de l’auteur : 

« 15 H. Un vendredi saint dans une envolée de cloches qui partaient à Rome pour le dire à tout le monde, à Dieu et au Pape, aux montagnes et aux vallées, à la vie et à la mort.
Et puis les cloches se turent tout le samedi saint.
Et puis elles revinrent le dimanche de Pâques pour un Dieu ressuscité, mais papa resta sur son lit de mort, beau et aussi froid qu’un marbre.
Et l’on enterra Michaut pour le lundi saint qui était aussi la fête du village.
Et les cloches, alors, purent sonner tout leur glas.

Le glas de la mort, venu du fin fond des âges.
Marie l’écoutait, saisie, martelée de plus loin qu’elle et portée, aussi, par bien plus grand qu’elle.
Elle se taisait sans bouger, comme pour ne pas donner prise.
Pourtant, elle aurait hurlé avec les chiens du village pour n’être plus elle, juste un animal qui brame sa peur et oubliera tout, le glas suspendu. »

« Un jour, c’est le mois d’avril, Marie revient de l’école. Cette fois elle a cinq ans. Devant la maison, la voiture du médecin. (…) La mémée est très malade.
Marie demande tout bas « elle va pas mourir au moins? ».
Papa l’ignore. Il berce Marie et il dit en même temps des choses paisibles sur la mort et sur la vie.
Après tant d’années, Marie voudrait bien réentendre, exactes, les paroles de Michaut, les intonations, le son de la voix.Mais elle n’a gardé que le sentiment de cette heure là, doux et de sérénité, une autre minute close qui s’est, ce jour-là, semée au creux d’elle pour trouver un jour son heure d’éclore.
L’enfance, Marie le sait maintenant, est une terre floue, truffée de graines dormantes. »

 

Edito de Mars 2021

L’édito d’Anne
mars 2021

« Les anniversaires de Marie et de Raymonde se suivent au mois de mars. Celui de Marie tombe le 6.
Les anniversaires sont des fêtes personnelles parmi celles de l’année. Mais pas des fêtes privées qui regrouperaient les uns et rejetteraient les autres, pas de grands goûters, pas d’invitations, juste tout le monde qui dit en passant « Marie, Bon Anniversaire ».
Car dans le village le 6 mars est à Marie comme le 14 juillet aux drapeaux de la mairie, le 25 décembre à la crèche de l’église, Rameaux aux branches de buis et le jour de Pâques aux cloches.

Et puis chaque année Maman prépare en secret une robe neuve, cent fois enrichie des péripéties qui ont présidé à sa confection secrète… « »une fois tu es entrée et j’ai tout caché dans la caisse à bois ! »…
Avant d’être une surprise, que la robe neuve a eu d’aventures !
Mais elle est une surprise. Même si Marie s’est un peu douté… ce petit bout de tissu dans les balayures ?…

Et puis, pendant six années, Marie a cru, mordicus, qu’elle était elle-même un cadeau d’anniversaire sans cesse renouvelé que Louise (sa mère) offrait à Michaut (son père) son 9 mars venu.
L’anniversaire de Papa était le 9 mars et Marie avait surpris cette question de Maman :
– Qu’est-ce que tu voudrais, Michaut, comme cadeau d’anniversaire ?
– Fais une robe à Marie. Tu sais bien, c’est mon cadeau.

Marie donc, durant six ans, a été avec douceur le cadeau de son Papa sans se poser de question, sans contestation envisageable. Elle tendait les fleurs et se tendait toute dans sa robe neuve : Marie, cadeau pour Michaut.
C’était si naturel que tous les enfants étaient pour leurs pères un cadeau d’anniversaire !

Et puis, un jour, à l’école –qui apprend des choses mais casse quelques rêves– Marie ne sait plus comment mais elle a dû constater qu’aucune de ses camarades…
Alors, elle Marie ? Elle et son Papa ? Le 6 mars et le 9 mars ?
– C’était une coïncidence ! affirme la maîtresse.
Marie demeure interdite, de vie et de souffle, une bonne minute.
Puis la colère la prend aux quatre fonds d’elle-même.
Cependant, elle ne dit rien, rouge comme un coquelicot, détrônée de quelque chose.
Coin-ci-dence ?
La maîtresse a expliqué, et même écrit au tableau, ce mot que, furieuse, Marie a lu de travers, le ci devenant un qui.
Mais, même expliqué et même écrit au tableau, c’est un mot bête à pleurer. Il couine. Il coince. Et puis, même si Papa est une « coinquidanse » qui n’a aucun coin possible dans la pensée de Marie et qui y danse encore moins… ça ne marche pas pour elle !

Les autres enfants, peut-être, les autres papas aussi, mais elle, Marie, ça demeure une évidence… pas une coinci… Elle se trompe la maîtresse.
D’abord, le soir même, Michaut a affirmé, coïncidence ou non, que Marie était le grand cadeau de sa vie avec ses yeux bleus et le regard de sa mère.
– Tu comprends, petite fille, avant que ta Maman Louise me fasse cadeau de toi, j’ai vécu longtemps longtemps sans oser encore attendre que la vie me donne un petit enfant.
Et puis Louise était venue. Et Marie avait pu naître. Presque pour son anniversaire, ces 54 ans qui auraient fait des Robert une lignée éteinte sans la petite Marie.
-Ah, tu es bien mon cadeau ! murmure Michaut qui attire Louise et serre Marie, deux enfants sur ses genoux.
Et Marie est bien, éperdue de joie profonde, et plus cadeau que permis ! alors ouais, les coins-qui-dansent…

En dépit du vieux Larousse qu’elle avait pris à témoin trois ou quatre ans plus tard, Marie boudera ce mot très longtemps.
Et même aujourd’hui, elle va y voir à deux fois avant de ranger les faits de sa vie au tiroir des coïncidences. »

(Extrait de Anne des Collines, mémoires de Anne Pierjean)

Et la vie va…
Marie, Anne Pierjean, aurait eu 100 ans en ce mois de mars 2021.
Dans son bloc-notes, en fin de parcours, elle écrivait :

« Je contemple l’enfilade des arbres en fleurs. Florence court. J’écoute une joie bourdonnante qui peu à peu m’englobe… ou que j’englobe ?Jjoie* de ne plus savoir, aux confins du bien-être, si l’on est bue ou si l’on boit.
Je voudrais pouvoir mettre en mots l’au-delà de ce point où la route se perd. »

Bientôt, d’autres passages de ce bloc-notes paraîtront… patience, David, un de ses petit-fils, y travaille ! je vous donnerai vite des nouvelles.

anne

* Jjoie : une formule de Anne Pierjean qui englobe joie et jouissance, jubilation. Elle définissait Jjoie= Joie jubilatoire.

Edito de Février 2021

Un prunus en fleur, dès janvier, si tôt, les chatons poussés aux noisetiers et les sèves qui donnent couleur aux saules le long de la route… indices, prémisses, les yeux cueillent de perceptibles signes de bonheurs annoncés

AG prévue… en mars, le 13, car Février trop incertain… et si nous pouvions nous réunir en présentiel ce serait tellement bien, même si en nombre limité, même si vous allez être souvent obligés de déléguer pouvoirs … jusqu’à 3 par personnes !

Nous en reparlerons en temps utile.

Comme nous reparlerons de la parution du recueil poétique de textes d’Anne Pierjean pour célébrer le centenaire de sa naissance, en mars justement !

« Si je regarde par dessus l’épaule de ma vie » est un retour sur vie plein de sérénité et de ce goût d’Etre dont elle parlait. L’enfance, la vie. « Tout est Parole ».
Quand Anne Pierjean y parle de la vieillesse et du cheminement vers la mort, ce n’est pas triste mais confiant et heureux. Ce sont les joies au pas à pas, « ces riens qui font les jours » avait-elle brodé au seuil du jardin qui la ravissait chaque matin :

« Cette vague déferlante dont m’inonde l’instant où j’ouvre les volets. Je reçois la lumière, le jardin et l’entour,
pour un matin de vie encore… »

« Que j’aurai aimé cette vieillesse au tapis rouge,
Sa clarté attentive
et sa lenteur urgente. »

L’hommage se prépare. De longue date.
Si les lectures publiques ne peuvent encore être décidées, nous aurons l’écrit pour partager.

Que dire de ce temps où je feuillette encore le foisonnement des écrits qu’elle a laissés ?…  si ce n’est que ses pensées résonnent juste, longtemps après, comme elle l’avait anticipé, et continuent de prendre sens.
… Si ce n’est qu’elles s’acheminent vers l’écho qu’elle avait espéré pour la continuer et poursuivre son désir de partage.

De différentes façons, l’association a commencé à vous solliciter pour réserver le recueil car nous avons tout simplement besoin d’évaluer le nombre d’exemplaires à imprimer !

à bientôt

anne

Edito de Janvier 2021

11 janvier 2021 : Un point d’actualité  en ce mois de janvier : je ne l’ai pas dit dans mon édito mais nous avons eu le plaisir de clore l’année 2020 par une lecture offerte dans une école, à Loriol. Moment confidentiel initié par l’institutrice de CE1-CE2, accepté par sa Directrice, dans le respect des conditions sanitaires selon l’expression consacrée, juste pour terminer le trimestre et donner quand même un air de fête au départ des enfants en vacances, tous masqués et tous très intéressés ! La lecture a été faite par Claudine Delaine, metteur en scène et compagne de route dans les projets de l’association.
En retour d’Edito, St Avit m’assure avoir très envie de reprogrammer notre rendez-vous manqué en 2020, dès que possible. C’est encourageant et chaleureux. Comme l’est l' »épisode 4″ publié par le Service Culturel à propos de l’Exposition éphémère prévue au Centre d’Art… l’ouverture a été différée mais tout est en place! Un coup d’oeil tout de suite : https://fb.watch/2XKs4RbKaN

L’Edito d’Anne

Edito nouveau, janvier 2021

Cette période de 2020, longue et qui a invité aux bilans, personnels autant que sociétaux, ne me donne pas le désir, en ce début d’année nouvelle de formuler d’autre vœux que celui d’un apaisement de la vie…

Les vœux traditionnels, rituels, de bonne santé, amour, bonheur, ne m’ont jamais beaucoup inspirée, ni parlé… Cette année ils me paraissent particulièrement légers, voire insolents, tout au moins déplacés, inopérants autant que gonflés d’un orgueil démesuré et inconscient … alors que nous nous sommes sentis, cette année écoulée, bouchons ballottés par les flots, totalement flottants, le meilleur que nous pouvions alors espérer étant de s’échouer sains et saufs quelque part, abrités du déchaînement des vents et de ces « tempêtes » terrifiantes et mortelles décrites par les médecins…

Au-delà de ces pensées, pour l’association c’est une année décisive qui s’annonce : l’année passée nous a privés plusieurs fois des plaisirs de lectures partagées, programmées et annulées, bien naturellement, et celle qui démarre ne nous permet pas encore de proposer des dates de rencontres publiques.

2021 étant l’année du Centenaire de la naissance d’Anne Pierjean, ce sera sous forme papier que la célébration sera le plus facilement envisageable. Elle sera donc surtout le temps pour activer une publication…En n’oubliant pas de partager des lectures publiques en sus, cadeaux !, si la météo sanitaire nous le permet !
…en n’oubliant pas de partager des lectures publiques en sus, cadeaux!, si la météo sanitaire nous le permet !

Le recueil de textes poétiques préparé pour ce centenaire de naissance sera notre essentielle communication et penser le devenir de l’association à cette aune me parait évident.

Comme je l’avais initialement envisagé, la création de cette association avait comme projet de faire écho, quelques temps encore, à une écriture digne de passer la barrière des modes et de résonner encore dans les lieux de culture et d’apprentissage de la langue.

Mon projet était de rappeler cette écriture singulière qui a été largement reconnue en son temps, lui garder vie.

Anne Pierjean a inscrit dans le monde de la littérature jeunesse une façon, un rythme, un style qui permettaient à l’émotion, à la psychologie, à la profondeur du penser et du vivre, de parvenir aux enfants, en toute simplicité, en les touchant et les rejoignant dans leurs préoccupations et intérêts d’enfants ou d’adolescents, tout en les invitant à franchir un pas vers leurs vies et leurs «résonances » adultes.

Le recueil qui devrait paraître cette année en hommage à Anne Pierjean est conçu comme un écho à la femme, plurielle, engagée, bousculée par la vie, qui a abouti à l’écrivain. Hommage à cette recherche de chemins, de sentes, pour franchir et tirer sens d’un parcours de vie intensément «habité ».

Il regroupera des textes divers, extraits de lettres ou tirés de son bloc-note, de ses mémoires ou de certains textes édités en fin de vie, de ses pensées, notées, partagées ou réservées au fil de son temps, l’ensemble sera comme livré sous la forme d’un recueil de poésie, proche d’un livre d’heures.

Son titre : « si je regarde par-dessus l’épaule de ma vie » tiré d’un texte de la fin de sa vie, suggère le recul du temps, le regard inversé qui évalue la traversée, où la Jjoie et le goût de vivre auront finalement surplombé les turbulences, s’en seront dégagés après les avoir intensément vécues, ressenties et écrites.

Au travers de ses textes, son hymne aux mots salvateurs est souvent énoncé par Marie, la femme, et Anne Pierjean l’écrivain : « les mots sont une force et je l’ai su très tôt », « l’écriture m’est souffle ».

Elle y rend hommage à l’écrit, jailli puis ciselé, sans cesse travaillé et ajusté, cadencé et enraciné, qui émerge du pensé et du ressenti, sublimés.

Anne G.

Edito de Décembre 2020

En guise de chemin de l’Avent, ce poème que je relie à décembre :

Je vois souvent en rêve une femme très vieille au manteau gonflé de bourrasque, les cheveux envolés et le capuchon rejeté, le souffle et le pas vifs.
Elle porte un enfançon dans le creux du bras gauche qu’elle enferme aux pans du manteau.

Sa dextre tient une lanterne qu’elle poursuit et qui la hale.
Et l’enfant est paisible. Un enfant au triple sourire en un seul, qui est celui de mes petits.

J’aime ce rêve et ne le décrypte jamais.
Il m’est donné comme un œuf d’or.

Admettre que l’essentiel est le bien-être qu’il procure…
Accepter qu’il ne soit que le feu vert qui rassure la route prise… le voir comme l’étoile du berger …
Et être bien, à la porte du rêve.

Anne Pierjean

Préparez bien les fêtes de cette fin d’année,  ensemble proches ou à distances, qu’elles soient sereines et, peut-être, différemment profondes, en leur intérieur, en ouverture.

 

Edito de Novembre 2020

Octobre et novembre au jardin et aux mots

Ce jardin, c’est sûr, est une invite permanente à la méditation ! à moins que ce ne soit une invite à la méditation permanente !…

 une explication à l’absence d’édito récent !

Le jardin et les mots m’ont retenue.
Je suis, infatigablement, osbtinément, dans les pensées et les mots d’Anne Pierjean, ma mère, qui nous a fait ce cadeau inestimable d’écrits … ceux , au-delà des publiés, qu’elle a choisi de ne pas brûler et de nous transmettre.

Je suis dans le jardin, les fleurs et « le vert à chaque fenêtre » de cet automne radieux comme dans les mots et pensées qu’elle n’a pas eu le temps ou l’énergie de classer mais nous a laissés dans un « bloc-notes éparpillé ».

Occupée, concernée, étonnée, émue, bouleversée, rejointe… Cet automne me donne encore le La pour poursuivre une composition d’Elle, une gerbe, un bouquet sauvage ou une corbeille à offrir pour l’anniversaire des cent ans de sa naissance : Mars 2021.

Je suis dans ses mots… dans la composition des blocs-notes éparpillés, comme elle en avait l’espoir.

Je vous donne une idée de la moisson d’automne que j’engrange : Quelques mots, phrases, pensées pour préparer, amorcer, esquisser, vous faire partager le plaisir que je trouve à cette arrière-saison.

Ils viennent de 3 pages isolées par Anne Pierjean, sans doute tirées (mais je n’en suis pas sûre) de ce qui a contribué au manuscrit « Marie, les mots et le jardin » (7 fois remanié et jamais proposé à l’édition car elle ne l’estimait pas prêt) :

« Marie n’avait pas le temps d’y penser (…) comme pressée soudain d’une urgence imparable, elle avait réfléchi, pensé et mis en mots, à des cadences effrayantes : des bloc-notes et des poèmes, des cahiers et des feuilles qu’elle perdait et jetait, qu’elle ne relisait pas, des pluies, des averses de mots, des tornades et des cyclones dans de grands balancers cautérisants, berceurs, dont elle avait pleuré en larmes.

(…)
Des pensées, des pensées, des mots, des mots – nés peut-être depuis toujours-  qui s’échappaient en vrac, en troupeaux, en essaims, multicolores et triomphants, saoulés de leurs cadences libres, imparables, inarrêtables.

On cesse de pleurer mais cesse-t-on les mots ? Elle ne les quittait plus, essayant de trouver une reine aux essaims, un berger au troupeau, une synthèse au vrac.
(…)

Comment les mots auraient-ils pu cesser ? Leur apprivoisement demanderait cent vies.
Elle ne pouvait que les poursuivre incessamment dans les limites de la sienne.

Alors, elle avait fait ce que l’on fait des mots, de longues lettres aux enfants, aux amis puis aux enfants encore.
Puis, quelques contes.
Puis quelques manuscrits jetés au feu… parce qu’ils étaient trop elle et trop grandeur nature de sa vie…
Puis quelques livres publiés.
Et toujours ses blocs-notes et ses cahiers volants qu’elle entassait, puis qu’elle jetait en bloc sans les revoir, juste festins qui laisseraient, dans sa tête et dans ses oreilles, des appels germinaux, juste appeaux pour d’autres envols…
… et des appeaux d’appeaux d’appeaux, pour pages volantes et perdues, inlassablement revenues sous d’autres aspects, d’autres phrases (tant les mots essentiels, étouffant tous les autres, ont des pouvoirs de revenir sous des formes de plus en plus parachevées et proches de l’idée entrevue),
comme si tout s’effectuait par de minuscules clivages que l’on croit chacun abouti parce que le regard en est là, que l’oreille en est là aussi,

et puis l’infime avance du regard, le recul de l’oreille et le clivage nécessaire à l’infime avance du mot –et l’imprécisable importance des temps morts entre les clivages…

Et la ciselure obstinée qu’il faut pourtant figer un jour mais ciselable encore au-delà du regard –au-delà de l’oreille aussi– en des ultra-sons audibles qui sont peut-être le seul lien, le seul courant qui passe. »

 

Ce long passage pour vous indiquer où j’en suis, concernée, émue, résonante, regard et oreille tendus, dans la perspective précise de vous offrir, au printemps, l’utra-son de ses mots et le chemin de sa vie, car, dispersé et fougueux, « le torrent » des mots de Marie  a trouvé la plaine …

 

Edito de Octobre 2020

En attendant l’édito, mise en ligne  du texte « l’arbre qui m’a bercée » :

La vie était belle au village, j’avais sept ans, Papa m’aimait, Maman m’aimait, ma petite sœur m’embêtait mais c’était encore un bébé.

Ce jour-là je cueillais des pervenches au chemin de la Font du Roux dans la combe du Hêtre – un arbre que j’aimais car il cachait son pied dans un grand fouillis d’acacias pratiquement impénétrable, plein d’épines.

J’avais pratiqué un tunnel. Je m’y coulais. Et très vite, j’étais au hêtre qui offrait ses rameaux disposés en échelle. J’y grimpais jusqu’à la triple fourche qui était MON fauteuil. C’était MON arbre, MON secret, et seul mon père le savait.

Les autres enfants l’ignoraient qui n’y venaient jamais –et j’avais une preuve que ce hêtre n’était qu’à moi : quatre bonbons dans une boîte coincée entre des branches n’avaient jamais été mangés.

Donc, au bord du chemin et tout près de mon arbre, je cueillais des pervenches.
J’en avais fait une pelote énorme liée d’une herbe souple et je l’avais posée sur un tapis de lierre quand j’ai vu courir la mémée :

– Malissou, ma pauvre petite…
– quoi, Mémée ?
– Ton Papa…
– je n’ai pas dit :« son mal a empiré ? », j’ai soufflé gravement : « il est mort ».
– quel malheur, a soupiré simplement la mémée.

Et j’ai couru, tirée par elle, une pervenche aux doigts.

Maman n’était plus ma maman. Elle n’était qu’une plainte sourde, entre-coupée , qui s’épuisait, se reprenait, à la façon du cri d’un chien qui hurle la mort sous la lune.

Ma petite sœur, effrayée, geignait à l’unisson, se jetait à droite et à gauche, agrippée à sa mère et des voisines s’affairaient du haut en bas de la maison.

Afin qu’elle me voie j’ai tiré Maman par sa manche.
Elle m’a saisie si violemment que j’ai eu brusquement une peur indicible : Papa était déjà de l’autre côté de la vie et Maman louvoyait aux crêtes de l’abîme où nous allions tomber ensemble.

J’ai saisi la mémée Tasine par son long tablier d’aïeule et elle m’a rabattue contre elle.

Maman se débattait toujours dans les bras des voisines.
– Louise, ma Louise ! suppliait l’une d’elle
– j’emmène Malissou ! a soufflé la mémée, me serrant au creux de ses bras.

Je ne pleurais pas.
Je ne parlais pas.
J’avais peur des mots qui diraient mon père, la vie que nous aurions désormais, Maman hagarde et ma petite sœur prise au tourbillon du désordre. J’ai demandé :

– Mémée, laisse-moi aller à la Font du Roux, j’y ai oublié ma pelote de pervenches.
– Reviens-vite ! a dit la mémée Tasine. Ne me fais pas languir ce jour.
– oui, oui ! je finis juste le bouquet.

J’avais menti : le bouquet était fait.
Mais pouvais-je dire, à cette heure, que je voulais MON arbre, serrer son tronc entre mes bras, lui expliquer tout sans paroles, l’écouter me bercer de ses réponses d’arbre. Et j’allais, je courais.

Sans grimper à ses branches, j’ai saisi son fût à pleins bras, je meurtrissais ma joue à son écorce, je serrais de toutes mes forces, jamais plus, debout devant moi, je ne tiendrais ainsi mon père, jamais plus je n’appliquerais mon oreille à sa rude chemise jusqu’à entendre battre la force de son cœur qui accordait le mien. C’était fini. FINI. Et j’étreignais mon arbre, mes petits pieds contre son vaste pied, mes sandales sur ses racines bosselées que je sentais enfoncer mes semelles.

Le vent passait haut dans les branches. L’arbre s’est mis à clapoter, à déverser en moi des mots puissants et inaudibles, ceux que je voulais, que j’attendais.

Je percevais en lui le bruit des feuilles et des bêtes, et cela a grandi, a gagné le large des bois et le grand lointain de la vie. C’était si fort, soudain, qu’un rayon de soleil a ruisselé en gouttes larges, constellant d’ocelles mouvantes mon tablier d’écolière. Absente et éblouie je les suivais du bout d’un doigt et mes larmes, enfin, se sont mises à couler et les mots sont venus : Papa.

Mon cœur tapait contre l’écorce grise. Je le sentais bercé jusqu’à se mettre à l’unisson.

– Malissou ? appelait la mémée Tasine dans le chemin de la font du Roux.
– Oui, oui, Mémée.
J’ai posé ma peine au creux de mon arbre et glissé trois pervenches à trois fentes d’écorce.
–  oui, oui, Mémée.

Au sol, j’ai redressé les herbes piétinées comme on fermerait une porte puis j’ai pris mon tunnel et dévalé la combe.

Elle m’attendait sur le chemin, le nez levé vers le sommet de l’arbre.

Par-dessus les acacias clairs qui ébauchaient une verdure printanière, le hêtre touchait le ciel bleu de ses rameaux puissants, encore noueux d’hiver.

La mémée m’a serrée contre elle.
– A ton âge, ton père se perchait toujours dans le hêtre.

J’aimais la mémée. Elle était, en ce jour, mon seul pôle solide.
– Viens voir, Mémée.
Toute petite, elle m’a suivie sous les épines d’acacias.

– Mémée, regarde là-haut : c’est MA fourche… Vois les pervenches dans l’écorce…

La mémée a bien regardé les pervenches… Puis moi… puis encore les pervenches, comme si elle voyait s’ouvrir le ciel.
Puis elle a tendu ses paumes vers mes joues pour ramener, vers elle, mon visage.
Le hêtre exhalait son silence sonore.
Ses lèvres sur mes yeux mouillés, la mémée a soufflé : « Ma grande… »

         Et nous avons pu, l’une l’autre, embrasser doucement nos larmes.

Anne Pierjean

Fin septembre 2020

Temps mélancolique et vigoureux ensemble.
Je l’aime.
Le vent fouette les arbres toujours verts.
Seuls les prunus et les pruniers se défeuillent–pourpre sur l’herbe verte encore gorgée des averses de fin septembre,
Et tourbillons violets en débandade.

Anne, petite, voyait en chaque feuille morte une souris qui s’enfuyait : « regarde comme elle court devant le froid qui vient ! ».
Soudain, le nez de ma petite fille à la fenêtre de jadis dans un rond de buée, sa voix d’enfant. Les souvenirs courent avec les feuilles et je les aime aussi et m’émerveille, à l’intime de moi où tout me hèle en ce moment.

Souvenirs burinés à l’obscur des mémoires et, soudain, en voilà un qui vient, précis comme une herbe focalisée dans l’étendue du pré, et je ne vois plus qu’elle.
Une herbe.
Un souvenir…
Un nez écrasé à la vitre.
Humble noblesse de tout l’obscur en soi qui se donne, soudain, en rameutant la Joie que l’on croyait perdue  –qui était là, pourtant, au plus obscur de cet illisible archivage qui décide de la seconde où il me l’offrira.
L’obscur sait mieux que moi les constellations de mon ciel aux fragiles balans d’étoiles et il sait, mieux encore, mes fragiles balans de la vie quotidienne,

et il branche, débranche,
pour que le courage perdure,
et son instinct de vie et son instinct de joies qui font feu de tout bois.

    Et moi je m’émerveille…
De son rôle superbe ?
Son humble rôle ?
Son rôle muet, en tous cas.

Il est ma Part Royale, je l’aurai dit à tous les vents.
Comme j’aurai dit à tous vents que je n’ai que la tâche de déblayer devant sa porte, de clarifier son accès… grattages, balayages, mais, plus souvent encore, cette confiance existentielle :
Il est, alors je suis, à moins que ce ne soit l’inverse,

Mais c’est sans importance, l’essentiel étant bien cette interaction qui me porte.

Anne Pierjean, Automne 1998

 

En guise d’édito de septembre

Un peu gommé par les préoccupations de l’instant (la lecture du 30 août, le Forum du 5 septembre et mes quelques jours de vacances évadées), l’édito peut prendre aujourd’hui la forme d’un lendemain de fête avec l’empreinte en moi de la lecture d’hier, à Chabrillan, forte et douce.

Ce fut un beau moment de partage. Il m’a semblé que l’écriture s’y écoutait comme une musique.

En remerciements aux amis du vieux Chabrillan (qui m’ont invitée à partager les journées du patrimoine avec des souvenirs de leur jeune instit de 1944-45) j’envoie un beau texte qui s’accorde aux beaux arbres de leur village. Il a été publié en son temps par la revue « les épines drômoises » (« l’arbre qui m’a bercée » que je partagerai plus tard sur le site !).

Et je mets en ligne ce poème d’Anne Pierjean, en hommage à la fin de l’été.

Yeux mi-clos
Joie d’un septembre encore été, plus la sagesse.
En filigrane
Tant de soleils, d’enfants et de bleu clair
Jubilation au creux surcreusé de mon ventre.

Mes doigts cliquètent maille à maille leurs chapelets de laine
Et le tricot des mots orchestre
Et borde l’heure.
J’entends, lointain, le tic-tac à rebours qui me sous-tend le temps
Et dès lors m’offre
La brève éternité intense
De l‘instant.

*

17 Septembre 2020

Actualité , 17 septembre 2020 : rendez-vous à Chabrillan dimanche 20 septembre, journées du patrimoine

Petite pause après le Forum (où nous avons échangé avec quelques visiteurs dans une ambiance agréable) et nous reprenons avec notre participation aux journées du patrimoine : une lecture-rencontre à Chabrillan, sur l’invitation des amis du vieux Chabrillan et avec la complicité de lecteurs et lectrices qui se souviennent… des livres d’Anne Pierjean mais aussi de l’institutrice qu’elle y fut en 1944-45.

Après une balade entre les deux écoles du village et les souvenirs évoqués, ce sera une rencontre simple et une lecture à la salle polyvalente à 16 H :

lecture offerte de passages d’écrits d’Anne Pierjean, édités et inédits mixés… clins d’œil à l’enfance, à l’école et aux conteurs et conteuses dont Anne Pierjean conservait l’empreinte et entretenait la voix… En écrivant « une enfance contée » et « Anne des Collines », elle remerciait les anciens pour la richesse qu’il lui avait transmise.

« Mon père, ma grand-mère –et qui encore en remontant le temps ?– ont dû me transmettre le gène : ce pas vulnérable qui fait lever les mots à sa mesure… comme un chant de rencontre de la vie et des autres ? (…) J’en ai marché, j’en ai vécu. »

A dimanche !

 

 

31 Août 2020

« Paul et Louise » est le premier livre de ce qu’Anne Pierjean appelait sa trilogie dauphinoise.

En hommage à sa mère Louise et son père Paul, elle l’avait écrit après s’être imprégnée longuement de rencontres avec les anciens de leur village et des villages proches, au cours de veillées où elle les avait longuement écoutés…

C’est un hommage à leur génération, un hommage à la terre, et à l’amour qui traverse les générations et les drames en y inscrivant la vie dans toute sa force.

Ainsi parlaient-ils, mi-patois mi-français, de ce qu’avaient été leurs vies avant 1914, pendant, au-delà et à l’arrière de la guerre.
Ainsi s’est inscrite, dans ces trois livres, une chronique d’un temps passé mais qui nous parle encore, et fort.

En émotions, angoisses, en perceptions et intuitions, humaines… en sentiments profonds et simples comme l’amour, la peine, la solidarité, l’entr’aide, le sentir de la terre, et, en-dessous, la sensation, à fleur de peau, de s’inscrire comme un maillon dans la chaîne de l’histoire… qui brise, parfois, et parfois construit, va de l’avant, en tous cas.

« Paul et Louise » est d’abord une belle et forte histoire d’amour qui commence dans l’enfance… « ils s’aimèrent sans le savoir… ils s’aimèrent et le surent »)

Après ce « Paul et Louise » il y eut « Loïse en sabots », un autre versant de cette guerre… et la mise en abîme d’autres amours, d’autres guerres… celles qui « font des trous » comme le dit un des personnages … il s’agit encore de la guerre de 14, et des paysans à l’arrière (le garde qui passe dans les campagnes, un crêpe noir au képi, pour annoncer un deuil dans une ferme… et ceux qui le regardent passer, appréhendent son passage…).
Le récit ne nous épargne rien de l’impensable de la guerre vécue à l’arrière, celle-là ou une autre (préfigurant un autre livre « le temps de Julie » où il s’agira de la guerre de 40)… mais il le fait en mots qui suggèrent un au-delà des faits, décrivent en orfèvres les sentiments et font apparaître en filigrane ce que chacun est, au fond de lui-même, faisant exploser parfois l’horreur de l’incertitude au quotidien, ou le bonheur animal d’une naissance comme l’insoutenable d’un deuil.

Plus tard, dans « Saute-caruche », c’est de paternité qu’il s’agit, de découverte des racines et des secrets qui changent la vie du tout au tout.

La lecture de « Paul et Louise » dans le cadre du jardin cher à Anne Pierjean, a permis à certains de découvrir une auteure et aux autres de la retrouver. J’espère qu’elle aura donné à tous le plaisir et l’envie de la lire ou relire.

Au temps de cette trilogie, parue entre 1975 et 1977, aux Edition G.P, rééditée ensuite en Castor Poche (et dont Louise aura eu le temps de lire le premier livre), des critiques littéraires reconnus comme Marc Soriano et Raoul Dubois, envisageaient qu’elle pourrait entrer dans le domaine de la littérature classique.
« Paul et Louise » eut 5 Prix prestigieux.

Ce sont des textes à lire et entendre au rythme de son cœur, en prenant tout le temps d’en savourer les mots.

Anne G

 


Accueil à partir de 18 H,
le temps de vous installer confortablement!
à La Bastelle, 47, avenue Agirond à Crest

Lecture dans le jardin mais masques recommandés tout de même.

Parking proche:  champ de Mars

L’ Edito d’Anne