Edito de Mars 2021

L’édito d’Anne
mars 2021

« Les anniversaires de Marie et de Raymonde se suivent au mois de mars. Celui de Marie tombe le 6.
Les anniversaires sont des fêtes personnelles parmi celles de l’année. Mais pas des fêtes privées qui regrouperaient les uns et rejetteraient les autres, pas de grands goûters, pas d’invitations, juste tout le monde qui dit en passant « Marie, Bon Anniversaire ».
Car dans le village le 6 mars est à Marie comme le 14 juillet aux drapeaux de la mairie, le 25 décembre à la crèche de l’église, Rameaux aux branches de buis et le jour de Pâques aux cloches.

Et puis chaque année Maman prépare en secret une robe neuve, cent fois enrichie des péripéties qui ont présidé à sa confection secrète… « »une fois tu es entrée et j’ai tout caché dans la caisse à bois ! »…
Avant d’être une surprise, que la robe neuve a eu d’aventures !
Mais elle est une surprise. Même si Marie s’est un peu douté… ce petit bout de tissu dans les balayures ?…

Et puis, pendant six années, Marie a cru, mordicus, qu’elle était elle-même un cadeau d’anniversaire sans cesse renouvelé que Louise (sa mère) offrait à Michaut (son père) son 9 mars venu.
L’anniversaire de Papa était le 9 mars et Marie avait surpris cette question de Maman :
– Qu’est-ce que tu voudrais, Michaut, comme cadeau d’anniversaire ?
– Fais une robe à Marie. Tu sais bien, c’est mon cadeau.

Marie donc, durant six ans, a été avec douceur le cadeau de son Papa sans se poser de question, sans contestation envisageable. Elle tendait les fleurs et se tendait toute dans sa robe neuve : Marie, cadeau pour Michaut.
C’était si naturel que tous les enfants étaient pour leurs pères un cadeau d’anniversaire !

Et puis, un jour, à l’école –qui apprend des choses mais casse quelques rêves– Marie ne sait plus comment mais elle a dû constater qu’aucune de ses camarades…
Alors, elle Marie ? Elle et son Papa ? Le 6 mars et le 9 mars ?
– C’était une coïncidence ! affirme la maîtresse.
Marie demeure interdite, de vie et de souffle, une bonne minute.
Puis la colère la prend aux quatre fonds d’elle-même.
Cependant, elle ne dit rien, rouge comme un coquelicot, détrônée de quelque chose.
Coin-ci-dence ?
La maîtresse a expliqué, et même écrit au tableau, ce mot que, furieuse, Marie a lu de travers, le ci devenant un qui.
Mais, même expliqué et même écrit au tableau, c’est un mot bête à pleurer. Il couine. Il coince. Et puis, même si Papa est une « coinquidanse » qui n’a aucun coin possible dans la pensée de Marie et qui y danse encore moins… ça ne marche pas pour elle !

Les autres enfants, peut-être, les autres papas aussi, mais elle, Marie, ça demeure une évidence… pas une coinci… Elle se trompe la maîtresse.
D’abord, le soir même, Michaut a affirmé, coïncidence ou non, que Marie était le grand cadeau de sa vie avec ses yeux bleus et le regard de sa mère.
– Tu comprends, petite fille, avant que ta Maman Louise me fasse cadeau de toi, j’ai vécu longtemps longtemps sans oser encore attendre que la vie me donne un petit enfant.
Et puis Louise était venue. Et Marie avait pu naître. Presque pour son anniversaire, ces 54 ans qui auraient fait des Robert une lignée éteinte sans la petite Marie.
-Ah, tu es bien mon cadeau ! murmure Michaut qui attire Louise et serre Marie, deux enfants sur ses genoux.
Et Marie est bien, éperdue de joie profonde, et plus cadeau que permis ! alors ouais, les coins-qui-dansent…

En dépit du vieux Larousse qu’elle avait pris à témoin trois ou quatre ans plus tard, Marie boudera ce mot très longtemps.
Et même aujourd’hui, elle va y voir à deux fois avant de ranger les faits de sa vie au tiroir des coïncidences. »

(Extrait de Anne des Collines, mémoires de Anne Pierjean)

Et la vie va…
Marie, Anne Pierjean, aurait eu 100 ans en ce mois de mars 2021.
Dans son bloc-notes, en fin de parcours, elle écrivait :

« Je contemple l’enfilade des arbres en fleurs. Florence court. J’écoute une joie bourdonnante qui peu à peu m’englobe… ou que j’englobe ?Jjoie* de ne plus savoir, aux confins du bien-être, si l’on est bue ou si l’on boit.
Je voudrais pouvoir mettre en mots l’au-delà de ce point où la route se perd. »

Bientôt, d’autres passages de ce bloc-notes paraîtront… patience, David, un de ses petit-fils, y travaille ! je vous donnerai vite des nouvelles.

anne

* Jjoie : une formule de Anne Pierjean qui englobe joie et jouissance, jubilation. Elle définissait Jjoie= Joie jubilatoire.