Edito de Juin 2023

Juin, juin, juin…déjà se prépare le temps des moissons. Mai s’achève dans un méli-mélo d’orages sourds, d’averses capricieuses et de soleils intenses… le bonheur d’été est en route. Les mots filent des jours heureux.

Cacophonie des jeux de grenouilles dans le bassin, qui sature les nuits comme les jours, foisonnement des iris et des asters qui emplissent les massifs, merveilles des moments de détente sur la terrasse et des bouquins lus à l’ombre du parasol… Le soir est tellement rose que j’en souris, entre les chèvrefeuilles et les seringats qui embaument, les éclats orange du grenadier et les rosiers en fête.

De petits pas pour l’association qui, sans effets spéciaux, cultive simplement les liens, humains, heureux, confiants, en tissant des souvenirs et de petits bonheurs : les « passeuses de mots » se préparent à faire une lecture dans un lycée de Valence, le 31 mai, les voisins s’intéressent aux réunions de La Bastelle, les informations se tricotent, d’association en association, d’amis en rencontres heureuses, de lecteurs en auditeurs attentifs… la maison vit aux battements de ces croisements, simples, de vie, d’écoute, d’envies, d’idées lancées, de projets informels, tranquilles… au rythme des plaisirs de se retrouver, les mots en goguette et l’esprit conscient.

Le dernier rendez-vous de La Bastelle, le 21 mai, a été animé de lectures inhabituelles : des textes écrits par certains, en forme de clin d’œil à ce qui nous relie -les textes et l’esprit d’Anne Pierjean, les repas partagés dans sa maison- puis la présentation d’extraits de « Judith et l’Ey-vie », de « Belle et Toni de nulle part », l’émotion à écouter « Ecume » (extrait de « l’instant exact »)…
Comme toujours les esprits brodent, s’évadent, se préoccupent des soucis de chacun, des plaisirs aussi, qui racontent les jours…. La parole foisonne.

Le souvenir d’une lecture de saison, « des yeux bleu barbeau », me donnent envie de fêter la St Jean en la partageant à nouveau… pourquoi pas au jardin ?
Autour du 24 ?… bien sûr, on ne peut plus sauter les feux de la St Jean mais le cœur y serait !

« Ce soir c’était la Saint Jean, et elle n’avait pas le cœur à cela. Sa maison encore en deuil de sa mère, elle n’irait pas à la fête, ne sauterait pas le feu.

Pourtant, l’amour pour sa mère n’eut pas été entamé si elle avait pu danser et franchir le feu comme les autres filles et les autres gars. Elle le savait. Le père le savait. Mais les habitudes, les usages du village…
(…)
… elle regardait le bouquet fâné qu’elle n’avait pu se résoudre à jeter au feu. Pourquoi fallait-il que le bouquet de barbeaux s’en vint faillir aujourd’hui ?

La Saint Jean était la fête de l‘été nouveau, la fête des blés, celle des amoureux.
Et les barbeaux se taisaient, juste ce jour-là ?
(…)
Père, vous avez raison. Il faut des fleurs fraîches sur cette fenêtre. Je m’en vais cueillir une brassée de coquelicots. »

(in « Des yeux bleu barbeau » ou Céline de Bise)

Céline de Bise est la grande sœur … Dans « Jean de Bise » aussi, Anne Pierjean chantait l’été, et surtout ces rencontres de mots, de chants et de consciences que les soirées permettaient, après les hivers rudes, le travail harassant et la misère ambiante dans ces contrées…
Les temps, bien sûr, ont changé depuis ce 18 ème siècle dont ces deux livres parlent (il faudrait y ajouter « les trois louis d’or de Maria », où l’ombre de Mandrin se projette) : le message reste, d’humanité, de culture, de solidarité, d’évolution et de transmission …

De même, se redisent souvent la sensibilité de l’auteur au temps des moissons (je pense à « Paul et Louise » et ce passage d’anthologie de la moisson organisée par Paul, au clair de lune, au temps de la peine de Louise et de sa mère), sa foi dans les forces de la terre et des mots, l’image du blé qui lève, les travaux (« les corvées » paysannes) ensemble, les veillées fécondes, son attachement à l’ensemencement…

« Et la vie poursuivait ses tâches dans tout Pontchanu accablé de chaleur.
Mais le samedi soir et le dimanche après vêpres, les jardins du presbytère s’ouvrirent à des chansons qui n’étaient pas des cantiques, non plus des grivoiseries, et ce, sur l’initiative de Jeanne de Chervis.

-Quelle misère ! avait dit Diane au curé, les temps anciens nous laissèrent de si belles mélodies. (…)
Personne ici ne les sait et l’on y supplée par des gaudrioles, mal tournées, parfois vulgaires, qui égarent les enfants.
Sans compter encore qu’elles appauvrissaient une tradition orale laissée par les troubadours, et qui était, pour le peuple, sa mémoire collective, l’histoire de ses racines, un savoir qu’il ne fallait pas risquer de perdre.

– Les complaintes et les contes, poursuivait Diane de Chervis, les fables et les chansons, le récit des épopées, c’est toute la culture de ceux qui ne savent pas lire.

De plus, c’était beau, et Diane le sentait. (…). Les chansons et les légendes n’étaient bien souvent qu’une même protestation, une plainte née de la plainte, qui s’étire sur le temps jusqu’à fatiguer la plus longue des patiences.
(…)
Et peut-être pourrait-on, s’il y avait audience, élargir l’ensemble ?
Elle lisait les gazettes. Elle informerait les gens de ce qui se passait ailleurs. Elle serait une autre voix, plus renseignée, plus avertie (…) elle leur ouvrirait quelques échappées sur la vie d’autres provinces.(…)
Et puis le soir à la fraîche et sous les étoiles, ce serait superbe ! Nous laisserions grille ouverte, inviterions à entrer. Nous nous assiérions dans l’herbe. Nous partagerions une heure avec les gens et une émotion qu’ils aimeraient découvrir…
(…)
Déjà, tous les mois d’été, elle enseignait la lecture, les soins, la santé, les herbes, aidait le curé et Dame Alphonsine à visiter les malades, soigner les enfants (…)
A cela, elle voulait joindre un peu de musique, un peu de beauté et voire un peu d’inutile car elle sentait l’inutile sacré quelque part quand il était beau. Chanter serait bon à l’âme. Réciter aussi. (…)

La misère et la fatigue, elle n’avait garde de les oublier. Mais sait-on ce qu’on oublie, unissant les voix dans un même chœur ? Ce qu’on réconforte ? à quoi on accède ?
(…)
Alors, elle n’hésita plus.
On chanterait le samedi, aussi le dimanche.
Elle offrirait des galettes.
Déjà, elle cherchait les titres des chansons parmi cent cantates, mélopées, complaintes simples. Elle choisirait tout d’abord les airs du pays qui s’enfonçaient dans l’oubli. Les gens y puisaient leur rythme. Ils devaient revivre. »

(in « Jean de Bise »)

Et si , dans nos rencontres et ce qui les motive, nous nous inscrivions tout simplement dans cet élan de vie qui traverse les siècles ?

Prochain Rendez-vous de La Bastelle, le 21 juillet, pour tous ceux qui pourront !

Et une lecture dans le jardin en Juin ? à préciser !

 

Après notre rendez-vous de La Bastelle d’hier soir, 21 mai, un mot d’actualité :

Après soirée de La Bastelle… où l’on a savouré tant de mots de vie, intenses et gorgés d’émotion…

« Comprenez, ma mère, ce sont choses qui se donnent, et que l’on échange… » (dans « Jean de bise »)

« La crêpe était moelleuse. Elle sentait le miel, la fleur d’oranger, le beurre aiguisé de sel. Elle avait un goût d’enfance, de bonheur et d’amitié…
Annibal gonfla sa fourrure douce, cligna ses yeux verts et pensa que la vie était belle du moment qu’on la partageait.
Et c’était exactement ce que tous pensaient dans le même instant. » (dans « Cher M.Bégonia »)

« Ces instants intimes et pléniers (… )
Les souvenirs sont reçus de plein fouet.
(…) (dans  « l’instant exact »)

Merci à René, l’Editeur « Gaspard nocturne » pour ses mots, inscrits à la fin de « L’instant exact »: 
« les lumières restent à entretenir, elles sont toujours dirigées vers l’avenir (…)
Il me semble qu’Anne Pierjean par tous ses livres n’a cessé d’entretenir cette flamme qui seule importe , qui seule mérite la succession des vies et des morts.. Elle l’a fait avec un art admirable dans ces romans si proches de l’humain qu’ils prennent place à l’aube des lumières ou au crépuscule brutal de l’été 1914, ou encore aujourd’hui. Il faut les lire et les relire.
Marc Soriano (…) distinguait parmi les oeuvres contemporaines de littérature pour la jeunesse celle de Anne Pierjean comme « bien placée pour devenir classique ».
(…)
Aujourd’hui (…) une évidence vient traverser cette oeuvre : si nous retenons notre souffle, si nous pleurons et rions, lisant Paul et Louise ou Ecume, c’est qu’a lieu, dans l’instant, l’alchimie renouvelée de toute une vie, et pas seulement de tout un art. 
(…)
George Braque le disait : « avec l’âge, l’art et la vie ne font qu’un »
(Dans l’instant exact : après lire, du don des images à la naissance des mots)

Merci les amis