Edito de Décembre 2022

Passionnément novembre….

Oui, ceux qui me suivent s’en souviennent peut-être, je n’aime pas vraiment novembre, pourtant j’ai souri ce mois-ci en longeant des champs de colza fleuris pour la seconde fois, et d’autres parsemés de têtes de tournesols éclatants, l’air ébahi de s’être aventurés si loin dans la saison… Alors j’ai traversé novembre un peu incrédule, pas convaincue d’y être, de petits bonheurs en petits bonheurs.

Les visites aux cimetières, les labours, les chrysanthèmes ébouriffées, les vignes jaunes et les arbres « roux comme pain cuit », puis les vins nouveaux ont amené mon esprit vers Saute-Caruche…

Ça commence comme ça :
« Passe à la Mairie, Saute-caruche, le Maire veut te voir.
Le Maire voulait le voir ? Saute-Caruche resta le pied en avant, marche suspendue.
(…)
Saute-Caruche y alla de cette démarche légèrement cahotée qui élançait le talon comme pour un saut et puis le pied retombait en pas ordinaire, mais l’épaule poursuivait et accusait

La lancée d’un bref soubresaut. On aurait dit -tiens !- qu’il traversait un labour hérissé d’énormes mottes -des caruches quoi !-  qui vous font marcher à tous petits bonds , comme les chasseurs ou les gens pressés qui tirent tout droit d’une ferme à l’autre, sans suivre les routes.
(…)
Le plus court chemin entre deux fermes voisines n’était certes pas la route.
Naturellement, au temps des récoltes, on les suivait, les chemins.
Seulement, pour les labours, c’était différent : un champ labouré, ça se traversait à saute-caruches – mais Romain Breton, labour pas labour, avait toujours l’air…Bref ! Saute-Caruche même sur les routes plates.

-Te voilà, dit le Maire, assieds-toi !
J’entre tout de suite au vif du sujet. Tu sais, dans le cimetière, la concession là à droite, derrière la grille ? Celle que personne n’entretient ?»… C’est la concession Bréton. Sa pierre est tombée. On a cherché les héritiers, il n’y en a pas. Mais Amélie, la dernière, elle a eu un fils….
Où est-ce que le Maire voulait en venir ? Si cette Amélie avait eu un fils, il y avait des héritiers. Il y en avait au moins un… .
-Ce fils, elle ne l’a pas élevé. Elle l’a mis à l’assistance. Mais il est vivant. Alors cette concession, elle est de son sang. Et on a pensé…
Romain se taisait, le Maire il a pensé quoi ?
-Ecoute, Romain, tu t’appelles bien Bréton ? Et tu es de l’Assistance ? Et le père de la mère d’Amélie Bréton s’appelait Romain ? Et le généalogiste a été formel : en t’abandonnant elle t’avait laissé son nom. Alors, cette concession, par le sang, elle est à toi.
-Vous en êtes sûr ?
-Je te le dirais pas sans ça … Les Desgrands voulaient l’acheter, la concession. On a regardé ce qu’il en était… C’était un achat à perpétuité…
Ecoute, les morts ça ne se vend pas. Je te le répète, par le sang ils sont à toi, même si, de leur vivant, ils ne t’ont pas reconnu.  Et j’ai voulu te le dire… Alors, cette concession, tu la gardes ? Est-ce que tu la prends ? Si oui, tu me l’entretiens. On marche vers la Toussaint et cette pierre tombée, ce coin pas entretenu, ça fait honte au cimetière, ça fait honte à la commune.
Une concession à lui ?
Et tous ces gens enterrés lui seraient une famille, là, dedans la concession ?  Et la dernière de morte, ce serait sa mère ? Amélie ? Elle s’appelait Amélie, la mère qui l’avait fait ? Et il apprenait tout ça, Saute-caruche-le-déraciné, sans que les platanes, roux comme pain cuit, au-delà de la fenêtre, en frémissent d’une feuille ?
(…)
Tous ces ancêtres qui lui arrivaient à la queue leu leu, remontant le temps, ça avait de quoi le déconcerter et l’estomaquer quatre ou cinq minutes. »

Voilà, ça commence comme ça, « Saute-caruche » d’Anne Pierjean!
Paru en 1977, c’est un roman pour ados que les adultes lisent avec plaisir… il est à la médiathèque de Crest, à la réserve (il faut donc le demander au bibliothécaire)… et nous sommes quelques uns, à l’Association, à pouvoir le prêter.

« Un livre sur le bonheur et la joie de vivre » dit la quatrième de couv, sur la filiation surtout, la découverte de la paternité et de tout ce que ça bouscule de se retrouver inscrit dans une lignée quand on a 50 ans et qu’on se pensait venu de nulle part…

Pour poursuivre un peu le plaisir de la lecture et fêter l’automne :

« Romain avait l’impression de commencer juste à vivre, de venir de naître aux autres, d’éprouver un grand besoin de jeter la vieille peau close de partout, de la voir s’ouvrir, de vouloir durer.
C’était bon, chaud et trouble. Un peu comme ce que l’on ressent quand le vin nouveau « claque »  sur la langue et qu’on le goûte en famille, frais sorti des cuves, au fond du cellier.
On a oublié le goût de l’autre vin qui finissait par sentir un peu le tonneau. Ciel ! que le nouveau est bon, même tout grelet, tout vif… il est encore la vendange. Il possède cette force et cette puissance des sucs tout nouvels et à peine transformés. Il est sève dans la bouche. Et la cuve, là, bouillonne des sèves de tout le vignoble. On en devient vigne. On en perd tous ses bois morts. »

Au Café-Bibliothèque de Chabrillan, le 20 novembre, la lecture d’extraits de « Si je regarde par-dessus l’épaule de ma vie » a permis à quelques nouveaux lecteurs de découvrir Anne Pierjean  avec une émotion qu’ils ont tenu à dire et de déguster, aussi, le vin nouveau en continuant le partage.

A la Bastelle, au Rendez-vous du 21 novembre, quelques anniversaires ont été fêtés, vins nouveaux et anciens partagés, les échanges de souvenirs et de textes choisis ont fait germer l‘idée de proposer au Crestois la publication du conte de Noël (inédit) lu ce soir-là … Dès le lendemain, ce fut chose faite et la proposition immédiatement acceptée : « Premier Noël » paraîtra donc en épisodes dans les prochains numéros du Crestois, à partir de décembre !

Bonheur de ces rencontres qui aiguisent la créativité de chacun et merci à ce collectif convaincu, véritable famille de lettres, qui démultiplie l’écho de cette écriture et relaie les initiatives.

L’année se finit donc en beauté, avec des perspectives de lectures en janvier et la sensation que des pistes nouvelles n’en finissent pas de se tracer …

Actualité

Une envie d’un moment de pause, en tranquillité et amitié , à voix feutrées  et complices ?

                                         Dimanche 20 novembre prochain,

une lecture vous sera  offerte au Café Bibliothèque à Chabrillan entre 5 et 7, entre tombée du jour et entrée dans la nuit, entre chien et loup, entre prose et poésie… :
« Si je regarde par-dessus l’épaule de ma vie » d’Anne Pierjean…

Des textes entre jardin de vie et compagnonnage avec la vieillesse, dans l’apaisement des tumultes, au pas à pas des jours, comme elle aimait l’écrire…

Puisqu’Elle nous a laissé ses archives, décantées et toutefois foisonnantes, puisque je suis sa fille, puisque j’ai eu l’émotion intime de composer avec ses notes, blocs-notes et lettres, un recueil qui, par moments, s’est écrit à quatre mains comme elle m’y avait invitée … j’aurai Joie à lire avec Claudine et Jean-Pierre des extraits choisis, et à évoquer ensuite avec vous les souvenirs qu’elle nous laisse et la saveur de cet héritage de mots, tellement porteurs, sereins et rassurants.

Elle fut institutrice un temps à Chabrillan, toute jeune maîtresse et maman pour la première fois, en 1944.
Elle a aimé ce village et tous ceux où ses remplacements l’ont conduite, dont elle m’a souvent parlé.
C’était en filigrane de sa vie, comme son émerveillement devant les enfants à qui elle enseignait et contait, pour qui elle a ensuite écrit avec passion, pour continuer « la classe » qu’elle ne leur faisait plus, pour faire durer la rencontre avec eux, essentielle.

Son histoire d’amour avec les mots, fut heureuse. Elle le savait et le disait, le savourait, en fin de parcours, avec une joie qu’elle nous a transmise : « l’écriture m’est souffle », écrivait-elle… ce souffle qui a soulevé les montagnes, les tumultes et les obstacles, a généré de multiples rencontres d’émotion et l’a portée, aux derniers pas,

« J’en appelle à la tendresse
Et je laisse couler.
(…)
Et le mot ouvre ses pétales,
Miracle de la Joie et de l’instant » APJ

Anne Grangeon, association Anne Pierjean, les mots et le jardin

Lecture offerte à Chabrillan, café-Bibliothèque, le 20 novembre 22 à 17 H