Edito de novembre 2019

Je trouve dans un livre de Pierrette Fleutiaux un passage qui traduit bien ce que je ressens et cette idée que j’ai eue de faire écho à l’écriture d’ Anne Pierjean : les livres ont une vie, flottent entre deux temps, entre deux vies, entre deux strates de conscience, disparaissent et ressortent parfois… :

« Sous les livres publiés, il y a tout un océan où circulent les manuscrits en transit, lancés comme des bouteilles à la mer. Les manuscrits vont et viennent poussés par des courants mystérieux, comme dans toutes les affaires humaines. Parfois, ils sombrent dans les grands fonds, et on n’en entend plus parler. Parfois, ils se maintiennent entre deux eaux, repêchés puis relâchés par un éditeur ou un autre, passant de mains en mains, s’enfonçant lentement comme à regret. Alors on peut espérer que le prochain manuscrit de la même fratrie aura plus de chance, l’aîné ayant laissé une trace dans un esprit ou un autre, qui s’en souviendra. Et parfois, aussi, l’un de ces manuscrits flottants se trouve soudain ramené à la surface par un courant favorable, et voici que quelqu’un s’en empare et se réjouit de sa prise : plus d’hésitation, le livre sera publié. » (BonjourAnne, Acte Sud, 2010).

Ma quête, mon objectif à la création de l’association : faire ressurgir un temps l’écriture d’APJ, donner une vie plus officielle à des manuscrits entraînés vers l’oubli, leur offrir une chance, peut-être, de rencontrer anciens et nouveaux lecteurs, sensibilités et littérature continuées… 

Octobre lumineux, octobre chaud et torrentiel par moments, octobre excessif, les fleurs écrasées par l’été parviennent à leur floraison, tardive et lumineuse, la nature reprend un cours serein, rafraichie par les nuits et les rosées. Les tiges fânées avant d’avoir vécu, leur épanouissement suspendu au trop chaud de l’été, retrouvent un allant, grimpent et s’accrochent, fourmillent de ramifications nouvelles, papillonnent et résonnent de vibrations d’abeilles… efflorescence des asters aux milles pétales, remontée des rosiers et épanouissement tardif des hibiscus, en même temps que les crocus signent brièvement aux prés la venue de l’automne. Et le soleil éclabousse sa lumière lavée, épurée, transparente, et les couchants s’offrent des fantaisies incandescentes, des flamboiements surréalistes aux décrochés des montagnes, et la chaleur crue nous étonne et ravit.

Novembre arrive. Va-t-il nous surprendre, en gris feutrés, en pluies fines, en brouillards et chrysanthèmes vifs, en froid discret mais déterminé, en soirées sombres et scintillements humides des rues le soir ? … il y a comme une impatience de l’hiver dans les magazines et les affiches, où les fêtes se profilent déjà…

Apprécier les mi-saisons, les interstices, les temps de répit et de plaisirs placides, sans les émailler, les encadrer ou décorer de fêtes… Bonheur d’avancer pas à pas au temps des jours sans extra, sans décors de théâtre, sans événements d’exceptions, au temps des levers et couchers de soleil, des nuages et des rayons qui percent, sans plus … sans sauter de dates en dates, de fêtes en fêtes, de projets en projets.

Aimer le pas à pas des jours, leur douceur ordinaire… Mais les jours ordinaires ne le sont jamais, ordinaires, si on prête regard à leur inventivité, à leurs lots de surprises, à leurs éclairages impromptus, aux rencontres et sensations inattendues qu’ils offrent, au temps fluide qui les constitue, nous échappe et nous emporte comme une rivière… rien ne sera jamais plus comme avant, pourtant tout est à chaque instant, et les témoignages du temps demeurent à saisir.

Alors, s’asseoir au bord du chemin et contempler, observer, ressentir le flux qui nous transporte, vite, trop vite !… poser la main, juste la poser, et laisser l’eau glisser, parfois saisir un souvenir de passage et le déguster.